Le système a bouffé mon protagonisme!

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Le système a bouffé mon protagonisme!

Message par Christoph » 15 Jan 2008, 18:22

Une toute vieille expérience de jeu, où je jouais mon perso-fantasme: Artanis Aeldarundë. Copie softcore d'Elric de Melnibonë avec de multiples espèces de kitsch dedans, j'adorais ce guerrier-mage au passé trouble et tragique (oh mon dieu!) Comme MJ j'avais Julien (aka Silver) et nous avions 15-17 ans à tout péter.

On arrivait gentiment au terme d'une campagne D&D qui restera mythique pour son saccage des Royaumes-Oubliés et autres références obscures à ceux n'y ayant pas joué.
Donc, lesdits Royaumes se faisaient pulvériser par une marée de monstres venus du nord où un énorme portail s'ouvrait à intervalles réguliers. Nos personnages s'y rendent pour tenter de couper le mal à la racine. Une énorme tarasque venait de sortir et se préparait à mettre cap sur le sud. Combat en perspective!

J'avais le perso le plus bas niveau, mais Julien m'avait gratifié d'un dragon pour au moins cette scène. Monsieur dégâts c'était Jérôme qui jouait un mago terriblement puissant, niveau 20.
Histoire de ma la jouer bien fantastique et héroïque, je déclare une attaque en piquée sur la tarasque, histoire de lui balancer une boule de feu à la gueule au passage. Quelques petits dégâts sont faits et mon dragon remonte à toute allure pour se mettre hors de portée.
Là, Julien déclare: "Sous l'accélération énorme, ton personnage chute." (De manière non-mortelle.)

*Bling* Quelque chose vient de se briser. Qu'est-ce? Mon rêve! Mon personnage serait donc si mauvais qu'il ferait une bête chute d'un dragon?

Ne sachant que faire, et les règles étant particulièrement floues à cet égard, je me lance dans une argumentation débile considérant des principes physiques et je finis par m'engueuler avec Julien. Je ne sais plus ce qu'il s'est passé ensuite. Vous n'imaginez pas le traumatisme.

Petite analyse potentielle: à aucun moment nous ne jouions selon l'aspect stratégie et tactique du coeur de D&D (sauf peut-être Jérôme et encore). Julien avait besoin d'un moyen de me rendre amochable par la tarasque et il a agi avec les outils les plus à même d'être gérés par les règles de D&D. Dans mon optique de jouer un héros fier et magnifique, ceci fut un rude coup porté à sa crédibilité.
Peut-être qu'avec un système plus axé sur l'obtention d'enjeux, tel que Pool, nous aurions pu traiter ce problème de manière plus glorifiante:
Julien: "La tarasque attrape la queue du dragon et le ramène au sol."
Christoph: "Pas d'accord! Je lance mes dés..."
Suite à quoi nous aurions pu faire une terrible narration dans un sens ou l'autre: "La tarasque est propulsé à travers le paysage" ou "le dragon s'écrase lourdement, Artanis continue le combat à pied".

Dans D&D, les règles pour attraper un adversaire sont notoirement lourdes! Il paraît que la 4e édition arrangera cela. Celles pour une chute (soutenue par le fait que le MJ a toujours le dernier mot) sont extrêmement simples.
Dans le premier cas, j'aurais au moins eu droit à une honorable confrontation, dans le deuxième, ce fut l'humiliation.
Bien sûr, le problème est plus fondamental. En tout cas moi, je ne jouais pas du tout dans l'aspect technique de D&D, où il s'agit d'aller chercher l'avantage pour prendre le dessus dans les conflits. Or le système D&D tend à encourager cette façon de jouer. Je ne pense pas non plus que Julien jouait dans cette optique en tant que MJ et les règles avaient tendance à le gonfler.

Morale de l'histoire: un système qui ne soutient pas notre démarche amène à de sales cassures de la crédibilité, souvent aux frais du PJ. Et un PJ pas crédible, ça casse tout ce qu'il pourrait représenter ou exprimer pour le joueur.

Pour finir, ceci n'est en aucun cas une critique de Julien. Il avait été le premier à lancer une grosse campagne avec les règles et les textes mal foutus de AD&D 2e, on découvrait le jeu de rôle et à la même place, j'aurais fait exactement pareil (il doit y avoir des exemples similaires avec nos rôles échangés). Vers la fin, nous avions transité à la 3e édition sous mes incessantes exhortations, ce qui n'a en fin de compte que compliqué l'exercice.


Ce billet me sert avant tout à expliquer une notion importante dans mes projets et mon plaisir de jeu: le fait que le joueur ait les moyens (typiquement via les règles) d'agir sur la fiction de manière satisfaisante. J'appelle cela le protagonisme.

Questions et commentaires bienvenus.
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Message par Silver (Julien) » 16 Jan 2008, 03:22

Je me rappelle de la discussion, c'était effectivement assez chaud.

Le problème à ce moment de la campagne, c'est qu'il devenait difficile de trouver des défis crédibles pour vos personnages qui étaient trop puissant.

Je pense que la chute de dragon, c'est parce que j'arrivais plus vraiment à gérer ce qui se passais. J'avais envie qu'il y ait un peu de difficulté dans le combat contre la Tarrasque, mais en fait vous alliez gagner facilement. Donc bon, le choix c'est soit de faire venir plus de monstre (déjà que ça ressemblait plus à grand chose, ça n'aurait rien amélioré), soit de commencer à prendre une décision arbitraire.

Avec le recul, c'est sûr que ma décision ne serait pas la même. C'est sûr aussi que mon type de "masterisation" a énormément changé et cette campagne était dirigiste au possible. En même temps, ça reste un excellent souvenir pour moi (et pour les autres joueurs aussi il me semble).

Ce qui est sympa à remarquer aussi, c'est qu'on a continué à jouer ensemble après cette campagne et qu'on joue encore ensemble aujourd'hui. Il me semble aussi que les attentes des membres du groupe par rapport au jdr ont aussi évoluées de la même façon :
Après le dirigisme de D&D, on a commencé à jouer à Cthulhu. C'était tout de suite plus libre, avec le MJ qui laissait volontiers les joueurs faire partir le scénario en couille. Les joueurs avaient plus d'influence sur la narration, mais ça n'était pas du tout dû au système (d'ailleurs, le système de Cthulhu Chaosium étant.... pourri, on l'utilisait pas énormément). après (si je me rappelle bien), Christoph a découvert Pool, on a fait une partie de Cthulhu avec Pool et on a remarqué que ça nous convenait vraiment mieux.
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Message par Christoph » 16 Jan 2008, 11:07

Oui absolument, le souvenir de cette campagne reste mémorable! Je suis tout à fait d'accord avec ta réflexion sur notre continuation dans le JdR via de nouveaux jeux et de nouvelles techniques. Ceci dit, Sam ne joue plus avec nous depuis que nous avons arrêté D&D, et Gaétan a moins joué depuis la fin de Paladin.
Historiquement, nous avions d'abord joué à Paladin (40K), et ensuite à Pool. Des systèmes progressivement plus en phase avec notre démarche.
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Message par Frédéric » 16 Jan 2008, 13:45

Pour ma part, je trouve dommage que nombre d'auteurs de jdr considèrent qu'il nous faut 10 ans de pratique pour commencer à faire de superbes parties et laissent donc les MJ livrés à eux-mêmes avec des règles floues et basées sur un arbitraire "réalisme".

Cette partie me rappelle bon nombre des miennes avec incohérences à la pelle, et un "protagonisme" à la dérive.

Que proposes--tu pour sauvegarder le protagonisme (de façon générale ou bien avec un système comme D&D) ?
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Message par Christoph » 16 Jan 2008, 14:10

Cela dépend bien sûr de la démarche. Pour quelque chose de narrativiste, Pool propose déjà des bases solides, dans la mesure où nous efforts sont directement dirigés vers un but et pas simplement une action. Le Monologue de victoire permet explicitement (c'est ça qui est fort) au joueur de raconter l'atteinte de l'objectif par son personnage comme il l'entend, en faisant attention à ne pas porter atteinte aux autres PJ.
Attention, ceci ne veut pas dire que c'est une fête à la réussite totale et tout le monde il est beau. Dans beaucoup de jeux que j'ai pu présenter ici, ton personnage peut se révéler être un protagoniste assez méprisable avec le temps: MLwM, DitV, Dirty Secrets... (ce ne seraient pas des systèmes idéaux pour jouer mon perso-fantasme)
Mais j'ai toujours les outils en main pour jouer mon perso de manière crédible. Personne peut venir me casser mon perso sans que cela ne passe par un conflit via lequel on peut illustrer les changements.

Un jeu que j'ai testé ces derniers mois (In a wicked age..., qui vient de sortir chez Vincent Baker) est nettement plus rude envers les persos. Il se peut très bien qu'un personnage donné n'apparaisse que dans une seule séance d'une campagne.
Là il faut bien s'entendre sur ce que le protagonisme signifie dans une partie donnée (pas d'Artanis Aeldarundë à ce jeu-là non plus).


Pour ce qui est du ludisme, ça se passe à un tout autre niveau. Il faut que mes choix tactiques et stratégiques aient effectivement une répercussion significative sur le combat et sur l'évolution de mon personnage. Si le MJ triche, c'est comme s'il n'y avait pas de défi, je ne peux pas jouer un personnage.

En simulationnisme, je ne sais pas trop. Il y a forcément quelque chose de très intimement lié avec la crédibilité et la cohésion de l'espace imaginaire, mais je ne m'y connais pas assez (je n'ai pas d'exemples de parties disons).
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Message par Silver (Julien) » 16 Jan 2008, 14:11

Ah ben tu m'as devancé avec ton post Christoph, donc ce que je décris ici, c'est l'approche ludiste je pense.


Si on considère D&D comme avant tout un jeu de simulation de combat, il me semble que les joueurs ont les moyens d'influencer sur la fiction.
Si les règles sont bien appliquées, que les combats se font de manière proche d'un wargame (avec figurines, plan quadrillé), les joueurs pourront influencer la partie car le MJ ne décidera l'issue d'un combat (faire des prisonniers, le laisse s'enfuir avec une jambe cassée, un joueur meurt, etc...) et c'est en grande partie les joueurs qui la détermine de part leur décisions. De la même façon, D&D prévoit un certain nombre de caractéristiques sociales, qu'on utilisait... jamais, mais qui aident également à l'influence qu'aura un joueur sur la partie. Le mec à 20 en diplomatie, il va plus ou moins décider ce qui ressort d'une discussion, que ça plaise au MJ ou non.

Il est clair que pour que ça fonctionne, il faut un MJ qui n'a pas de scénario au sens D&D du terme et qui ne va pas chercher, même si l'issue du combat n'était pas celle qui était "prévue" (mais en fait il ne devrait pas exister d'issue prévue) à inventer moultes astuces pour coller au scénario.

En même temps, on a jamais réussi à faire ça, mais c'est peut-être dû au fait qu'on est finalement pas tant intéressés que ça par les combats dans D&D (d'ailleurs, je trouve le système de combat assez nul) et donc qu'on passe à côté de l'essentiel du système. Le système de résolution des conflits autres que combat étant également moyen (jets de compétences opposés, pas de possibilité de surenchère, de mettre des points d'une réserve, de mettre en avant un trait pour gagner des points ou autre), ça n'aide certainement pas.

C'est peut-être aussi dû au fait que les bouquins de D&D ne sont pas vraiment clairs sur ce qu'on peut attendre du jeu. Il me semble par exemple que les conseils donnés dans le guide du MJ de la 3ème édition n'aident pas vraiment à avoir une approche où le MJ est en retrait. Ils lui font plutôt comprendre que c'est sur lui que tout repose.
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Message par Christoph » 17 Jan 2008, 11:04

Bon développement Julien, c'est exactement l'équivalent de ce que j'entends par protagonisme dans un jeu de type D&D.
Je dirais que notre partie de Donj de l'année passée était sûrement notre effort le plus cohérent en ce sens. Là les scénarios m'ont semblé intéressants dans le sens où ils offraient du défi, mais laissaient les joueurs totalement libres dans la manière des les résoudre (ou pas). Dans D&D, c'est cette liberté qui est cruciale.
Dans mon jeu-fantasme, il m'aurait fallu pouvoir illustrer comment mon perso était beau et puissant... et là effectivement, un scénario suivi à la lettre et que le joueur ne connaît pas peu se heurter à cette expression.

Et vos remarques concernant les textes de jeu, Frédéric et Julien, sont à mon avis très justes pour une très grande proportion de JdR publiés. A nous de faire mieux dans ce domaine.
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Message par Romaric Briand » 17 Jan 2008, 14:43

J'aurais tendance à dire que l'expérience est nécessaire à un joueur comme à un maître de jeu. (VS Démiurge ^^ )

Je pense que le maître de jeu, dans tous les jeus de rôles classiques, a un rôle délicat. La moindre erreur peut être fatale à la partie.
C'est un negociateur. Il negocie de l'autorité avec ses joueurs.

Dans le livre d'Olivier Caïra on voit très bien cet aspect du MJ. Il doit en dernière instance trancher sur ce qui est le cas.

Ex : les debats sur la crédibilité de l'univers entre le joueur et le maître. "Tu rigoles un jet de grimper pour une simple barrière, mais tous les humains en sont capables, il sert à rien ton jet pourri".
Sur ce point il faut de l'experience avec le JDR et avec la personne en face.

Un point qui reste à eclaircir : l'experience du MJ, y compris du point de vue du protagonisme developpé ici se donne sous deux aspect :
1. experience rolistique bien savoir raconter une histoire bien maitriser un univers.
2. Experience du joueur en face. (c'est ça qui necessite une vraie experience.)

Il est clair qu'on ne maîtrise pas de la même manière face à Frederic (il faut des dilemmes avec Fred =D je caricature volontairement), face à christoph (lui il lui faut de la liberté, sinon il nous balance par la fenêtre) etc.

Mon point c'est de dire qu'il ya au moins une experience que doit posseder le MJ c'est l'experience du joueur. On pourra limiter, avec nos nouveaux JDR, l'experience au sens 1. mais il sera difficile de limiter l'experience au sens 2.
Or le problème du protagonisme d'Artanis souleverait plutot des problèmes liés à 2. non ?

(l'experience du joueur c'est une autre histoire, je ne vais pas developper ça ici, ça ne servirait à rien, ce serait hors sujet)
Un personnage de fiction souhaitant s'incarner dans la réalité... Les rolistes sont mes proies...
http://leblogdesens.blogspot.com/
http://sens.hexalogie.free.fr/
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Message par Christoph » 17 Jan 2008, 15:38

Julien me connaissait déjà vachement bien à l'époque, mais il est vrai que nous n'avions jamais eu de discussion véritable sur ce que nous voulions exactement faire. On voulait juste faire du jeu de rôle.
Jamais les textes ne nous avaient avertis que ceci n'existait pas. Il y a moulte façon de faire du jeu de rôle et il faut se mettre d'accord à la table en discutant. Certains jeux sont si clairs dans ce qu'ils proposent que cette entente peut tout à fait se faire de manière implicite. Si je propose du DitV à quelqu'un qui a déjà entendu parler du jeu, il ne s'attendra pas à de l'optimisation de ses options de combat.
AD&D 2e avait clairement le défaut qu'il proposait en tout cas deux choses contradictoire: un réalisme (l'elfe vit plus longtemps que tous, il y a risque de se perdre dans une forêt, le voyage en mer dure tant...) et ses aspects ludiques (classes, niveaux, XP pour monstres butés,...) Je ne m'en rendais pas vraiment compte parce que je ne connaissais rien d'autre.
Pire, j'avais l'idée que le jeu de rôle c'était pour raconter des histoires tous ensemble (et tout les gens plus expérimentés que moi me le disaient), et alors pour cela, les règles de D&D (toutes éditions confondue) ne valent rien. Et puis en fait, c'est ce que tout le monde à la table croyait je pense. Du coup, nous n'en avons jamais vraiment parlé et de toute façon nous n'aurions pas eu le vocabulaire pour le faire.

C'est cette entente du groupe (le "contrat social" pour se la jouer anar') qui nous manquait avant toute chose. C'est vrai que l'expérience du joueur peut permettre d'extraire cette information (souvent inconsciemment), mais j'ai joué de très bonnes parties avec de parfaits inconnus depuis que je sais ce qu'il faut expliquer d'un jeu pour qu'il soit plus ou moins compris. Tu fais bien de relever ce point parce que jusqu'à maintenant je n'avais pas parlé de cet aspect du problème, qui est la condition sine qua non pour établir quoi que ce soit comme protagonisme.
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