La Caravane
Séance d'Inflorenza jouée le 27/12/12 dans les Vosges avec Hervé (Spartak Popov), Géraldine (Frère Dimitri) et moi (Elena "Farouche" Svetaïevna).
Ma cousinade hivernale dans les Vosges aura été propice au jeu de rôle ! Avec l'aide de mon cousin Hervé et de ma soeur Géraldine, nous montons un deuxième playtest d'Inflorenza.
Préparation
Je demande à Géraldine et Hervé dans quelle région d'Europe nous allons jouer. Ils me répondent la Russie. Je leur fais un topo sur la situation de la Russie à Millevaux en leur lisant la partie de l'Atlas de Millevaux correspondante. Hervé et Géraldine choisissent d'imaginer leurs propres persos. Pour ma part, je joue un personnage tiré de l'Atlas, Elena Svetaïevna.
La partie a duré 3h. Une petite 1/2 h de briefing, 2h de jeu, 1/2 h de debriefing.
Fiction
La geste d'Elena.
Extrait de l'Atlas : [" Elena "Farouche" Svetaïevna, suiveuse de la Caravane
Tsariste.
Sans mari et avec deux enfants trisomiques, Elena Svetaïevna
sait qu'elle n'a aucun intérêt à se fixer dans un village ou
une tribu nomade. On la traiterait de traînée et de Horla, on
l'accuserait d'avortement et de copulation avec les monstres,
on lui trancherait le nez, on la maudirait et pour finir on
la chasserait.
Alors Elena comprit que suivre la Caravane Tsariste serait sa
seule chance de survivre avec ses enfants. Par tous les
temps, elle la suit à pied, le plus souvent à distance,
cachée dans la forêt, avec ses enfants dont elle couvre le
visage d'un masque d'écorce. Elle se joint parfois aux soupes
populaires, ou encore récupère le gibier que les chasseurs de
la Caravane ont négligé, et ramasse les ordures qui sont
jetées des chariots. Enfin, quand l'hiver se fait vraiment
rude et la nourriture rare, elle s'attaque même aux vieux que
la Caravane abandonne derrière elle.
Elle se penche sur leurs corps allongés qui serrent des
icônes. Elle leur ferme les yeux et leur tranche la gorge. Et
quand ses enfants lui demandent ce qu'il y a à manger, elle
répond : ce que Dieu a bien voulu nous laisser, en attendant
des jours meilleurs. ]
C'est l'hiver en Slavosie. Une lourde neige recouvre tout, le froid est mortel.
Un matin, je me réveille dans mon campement en aval de la route de la caravane. Je découvre avec effroi que mes deux enfants ont disparu. De grosses traces partent dans la forêt. Des Horlas ont enlevé mes chéris !
La caravane tsariste passe, grotesque assemblage de chariots tirés par des chevaux, de quads, de véhicules tout-terrains et de gros wagons montés sur chenilles.
Je saute à l'arrière d'une roulotte. Je rentre dans la roulotte et y surprend les caravaniers. Je me mets à genoux, pleurant et frappant ma tête sur le plancher : "Je ne suis qu'une pauvre pécheresse. S'il vous plait aidez-moi de démoniaques Horlas ont enlevé mes deux enfants, mes deux chérubins, des innocents. Je vous en supplie, par les saintes icônes, conduisez-moi à votre pope j'implore sa clémence qu'on m'aide à retrouver ce monstre infernal qui a capturé mes deux trésors"
Pour avoir la paix, les caravaniers me conduisent dans un grand wagon sur chenilles tracté par un gros véhicule tout-terrain. Dans la tête de wagon, on me conduit devant Frère Dimitri, un moine orthodoxe combattant. Dimitri ne sait que faire de moi.
La caravane s'arrête dans un village pour inviter des moujiks à devenir cosaques pour le tsar. J'implore les moujiks de mener une battue pour retrouver le Horla captureur d'enfants. Les moujiks se rient de moi, me traîtent de romanichel et de traînée, ils me jettent des pierres. Humiliée, meurtrie, je remonte dans la caravane.
Dans la caravane, je retrouve les mêmes moujiks cruels. Ils se sont fait engager comme cosaques. A un moment, le wagon passe sur un grand viaduc de fer et de bois, à cent mètres au-dessus de l'eau glacée. Ivre de colère et de désespoir, je pousse un de ses affreux moujiks. Frère Dimitri réagit à temps et attrappe la main du moujik avant qu'il ne fasse une chute mortelle. Dimitri ordonne qu'on s'empare de moi. Je hurle et je pleure. J'ai tout perdu. Quelque chose se brise en moi et une force noire en prend la place. Le désespoir vient de révéler mon don de sorcellerie.
Frère Dimitri me jette en prison. On m'annonce ensuite que je serai décapitée pour mon crime. Spartak Popov, un étranger qui a les faveurs de Dimitri, vient me voir en cellule. Il veut m'aider à condition que je l'aide en retour. Il a compris que je suis une sorcière et me demande d'envoûter le tsar. Je devrai alors donner deux ordres au tsar : qu'on organise une battue pour retrouver mes enfants, et qu'on fasse route vers Saint-Petersbourg.
J'accepte, je n'ai plus le choix.
Le lendemain, sur un gigantesque wagon-eglise à ciel ouvert, Frère Dimitri a convié le tsar pour une messe qui sera suivi de mon exécution publique. Spartak Popov assiste Dimitri dans son office. Il donne la prosphora, une grosse hostie, à croquer au tsar et reprend cette hostie dans laquelle le tsar a mordu un morceau. Juste après la communion du tsar, le bourreau pose ma tête sur un billot et élève son sabre. J'implore alors la clémence de Frère Dimitri. Je souhaite communier une dernière fois avant d'aller en enfer pour mes péchés. Dimitri accepte. Popov vient mettre l'hostie dans ma bouche. C'est celle dans laquelle le tsar a mordu. L'hostie me sert de voult, l'objet porteur de l'égrégore du tsar, pour envoûter le souverain errant.
Le bourreau abat son sabre quand le tsar s'exclame : "Arrêtez. Je la grâcie. Qu'on arrête la caravane. Spartak, tu es un forestier. Dirige une battue pour retrouver les enfants de cette sauvageonne."
Des dizaines d'hommes partent avec moi dans la forêt, Spartak et Dimitri à leur tête.
Frère Dimitri s'enfonce loin dans la forêt, avec quelques hommes. Il est en armure, l'épée à la main. Il atteint une grotte. A l'intérieur, un ogre hideux aux yeux exorbités, poilu, féroce, un Horsain, moitié homme et moitié Horla. Il a enlevé mes enfants. Il les cajole, les plaint pour leur monstruosité. Il s'apprête à leur briser les os pour abréger leurs souffrances terrestres.
Dimitri adresse une prière au Christ et se rue vers le monstre. Il le transperce d'un seul coup d'épée. Ce saint homme vient de libérer mes deux petits anges.
La geste de Dimitri.
Je suis un moine combattant orthodoxe et un ascète. Je tâche de vivre dans la pureté et l'abnégation. Mes seuls maîtres sont Dieu et le Tsar. Pour leur compte, je mène un des plus grands wagons de la Caravane Tsariste.
Alors que nous passons au sommet d'un grand talus, un moujik sort de la forête et escalade la neige du talus pour sauter à bord du wagon. Un cosaque le repousse d'une frappe sur la poitrine et le moujik roule en contrebas.
Je prends alors pitié du moujik. Je sais également que les rigueurs du climat nous ont déjà coûté beaucoup d'hommes et qu'il nous faut recruter. Je fais arrêter le wagon. J'admoneste le cosaque et lui ordonne de descendre récupérer le moujik.
Une fois que le moujik est epousseté de sa neige, je le fais se présenter à moi. Il s'appelle Spartak Popov, c'est un pauvre hère qui demande l'asile. Il dit avoir l'expérience de la forêt et se mettre à mon service. Il m'émeut, il a l'innocence et la soumission du vrai peuple russe.
Nous reprenons la route mais j'ordonne qu'on s'arrête au premier village. Je descend évangéliser les moujiks et les convaincre de joindre le Tsar dans sa sainte croisade pour réunifier toutes les Russies. Nous ramenons à bord tout une division de fiers moujiks devenus des cosaques pour la bonne cause.
Une sauvageonne aux traits ouïghours, Elena, fait du scandale depuis qu'elle est dans la caravane. Alors que nous passons au-dessus d'un viaduc, elle pousse un de mes nouveaux cosaques par dessus bord. Ascète et guerrier, Dieu guide mon bras, et je rattrappe ce pauvre hère au-dessus du vide.
Je dois faire un exemple. Je condamne la sauvageonne à mort. Le bon Spartak, qui a trop de coeur pour les faibles créatures, me convainct d'organiser une messe avant l'éxecution et d'y convier le tsar. J'accepte, c'est l'occasion de voir mon maître et de lui prouver ma dévotion. Le bon et pieux Spartak insiste pour m'assister dans le service.
Le tsar, dans sa grande piété et sa grande clémence, grâcie la sauvageonne. Nous organisons même une battue pour lui plaire. Je sens pourtant que Dieu a voulu tout ça. Je nomme Spartak prêtre. Il embrasse mon épée et nous partons dans la forêt.
J'affronte le démon qui a capturé les enfants. C'est une hideuse incarnation de l'Antechrist. Je prie Dieu de tout mon coeur pour qu'il guide mon glaive et je l'abat sur le démon. J'entends les acclamations de mes compagnons. Le démon gît à mes pieds. Tel Saint-Georges terrassant le dragon, je viens d'accomplir un Miracle de la Foi.
La geste de Spartak Popov.
Mon village m'a banni. Ils m'ont traité de menteur, d'incroyant, de félon et ils m'ont chassés. Les fous !
Je veux rejoindre une société nombreuse pour survivre, et pourquoi pas, vivre dans le luxe aux crochets des autres. A mon avis, la Caravane Tsariste est le vaisseau qui me guidera vers un monde meilleur.
Caché dans la forêt j'entends les lourdes chenilles d'un wagon tsariste approcher. J'escalade le talus enneigé et saute dans le wagon. Un salaud de cosaque me repousse. Alors que je reprends mes esprits, meurtri, couvert de neige glaciale, je réalise que beaucoup d'humains sont des salauds et ne méritent pas de vivre. Je n'aurai aucun scrupule pour éliminer toute personne qui me fera obstacle à l'avenir.
Je sais que les religions sont mensongères et maintiennent les foules dans l'obscurantisme, pourtant il doit y avoir un Dieu pour moi à ce moment-là. Sur les ordres d'un chevalier orthodoxe, le cosaque même qui m'a poussé redescend me chercher. Il me mène au Frère Dimitri. Celui-ci essaye de s'assurer ma servilité, je joue la comédie de l'humble moujik reconnaissant. Je veux savoir où va la Caravane mais ce moine obscurantiste ne me répond pas.
Nous nous arrêtons dans un village. Je donne aux moujiks quelques babioles que j'ai dérobées dans le wagon pour leur délier la langue. Ils ne savent pas où va la Caravane mais me disent que nous sommes en direction de Saint-Petersbourg, le port cosmopolite, la ville bruyante et tapageuse des disciples de khlyst et des panthéistes, la ville des plaisirs, de la fortune et de la luxure. C'est le paradis terrestres que j'attendais.
Je veux manoeuvrer pour que la Caravane aille à St Petersbourg, alors je passe un pacte avec la sorcière Elena. Elle me fascine parce qu'à mon sens rien de bon ne pouvait venir de la nature extrême. Mais je viens de découvrir qu'il existe des mutants avec des pouvoirs exceptionnels, grâce à la corruption de la forêt. Elena a commis un crime dans la Caravane. Dimitri voulait l'abandonner dans le prochain village mais je le convaincts qu'il faut faire un exemple et plutôt l'exécuter. Je vais ensuite voir Elena en prison. Je lui annonce qu'elle va être exécutée mais qu'en fait c'est une chance. Elle va approcher le tsar à cette occasion.
Elena accepte mon plan. En mordant à la même hostie du tsar, elle parvient à l'envoûter in extremis.
Tout s'arrange alors pour moi. Dimitri me nomme prêtre, ce qui me donnera plus de pouvoir.
Et après que nous ayons retrouvé les chiards d'Elena, la Caravane reprend sa route. Vers Saint-Petersbourg, la ville de tous les plaisirs !
Système
J'ai invité les joueurs à se familiariser avec les mécanismes (soutiens, conflits duels, conflits complexes, jetons...) et j'ai développé une magie pour mon personnage (sorcellerie). Nous sommes assez naturellement partis vers une narration partagée : le joueur dont c'est le tour avait un contrôle très important sur la narration, décrivant le conflit, décrivant l'issue du conflit. En tant que MJ, j'ai surtout servi à cadrer, m'assurer qu'on restait dans la couleur de l'univers, donné des suggestions pour donner du punch à la narration et augmenté les enjeux des conflits qui paraissaient les plus cruciaux (le MJ a des jetons pour ça). Géraldine et Hervé étaient vraiment dans l'esprit de créer une bonne fiction et de mettre en valeur les personnages des autres (pas mal de conflits duels ou de soutiens dans les conflits). Ils ont accepté de jouer en mode narrativiste, en sacrifiant l'immersion pour prendre du recul par rapport à leur personnage en prenant des décisions en méta-jeu. Tous les joueurs étaient impliqués dans la négociation pour construire la fiction à travers les conflits. J'ai eu l'occasion de tester des vétos. A un moment, Hervé a suggéré que mon personnage subisse un rapport sexuel avec les moujiks à l'issue d'un conflit que j'avais perdu (convaincre les moujiks de chercher mes enfants). J'ai refusé parce que je ne voulais pas que mon personnage soit une prostituée ou une victime de viol. J'ai plutôt décréter que les villageois me lapidaient. C'est intéressant parce que le joueur peut ainsi écarter les sujets qu'il ne souhaite pas aborder et garde le contrôle de la destinée de son personange, même le système l'invite à souffrir. Par moment, la partie a presque pris des allure de story game plutôt que de jeu de rôle.
Il y a eu une innovation à la volée. La scène où Spartak donne la prosphora à Elena était un conflit d'Hervé et pas de moi. C'était un conflit qui soldait une longue négociation narrative. L'enjeu du conflit était rien moins que la vie de mon personnage. Si Hervé obtenait une réussite, il parvenait à me donner la prosphora du tsar. S'il n'obtenait pas de réussite, c'est Dimitri qui m'aurait donné la prosphora et c'aurait forcément été une autre. Si je ne pouvais pas avaler la prosphora du tsar, je ne pouvais pas finir mon envoûtement et le bourreau abattait alors sa lame sur mon coup.
C'était audacieux du point de vue du système car normalement l'enjeu d'un conflit ne peut pas être la vie d'un PJ, surtout le PJ d'un autre. mais c'est moi qui ai proposé cet enjeu et tous les joueurs ont accepté. Je vais donc amender le système pour permettre cela si il y a consensus parmi les joueurs.
ça ne regarde que moi mais je pense que nous avons vraiment produit une fiction de qualité grâce au système.
Hervé a suggéré qu'à l'avenir on crée plus de liens entre les personnages, je vais incorporer ça dans le système de création de personnage.
Il m'a aussi proposé d'écrire des "handicaps", des contraintes de jeu qui pourraient être proposées pour des séances plus cadrées (exemple : toutes les sentences doivent être des opinions du personnages, exemple : une sentence du personnage est écrite par un autre joueur, exemple : un conflit est déterminé aléatoirement, etc...). Je vais y réfléchir à l'avenir.