La méthode du docteur Chestel – critique

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La méthode du docteur Chestel – critique

Message par Frédéric » 07 Jan 2012, 19:16

Bonjour à tous, après avoir consulté Daniel aka Chestel, m'ayant confirmé qu'il était demandeur de critiques de l'ancienne version de son jeu La méthode du docteur Chestel, je me lance dans un compte-rendu de l'unique partie que j'aie jouée. Ok, difficile de se faire une idée sur la qualité d'un jeu sur une seule partie, ce qui m'intéresse prioritairement, ce sont les pistes « d'amélioration » du jeu.

Mon but est de mettre en avant les points qui mériteraient, selon mon avis personnel, d'être retravaillés. Je vais en profiter pour interroger Daniel sur la direction générale qu'il veut donner à la nouvelle version de son jeu.
Mes critiques visent avant tout à être constructives, les parties de mon thread qui s’avéreraient blessantes ne devront pas être considérées comme intentionnelles.

Bon, je casse le suspense de suite : la partie ne m'a pas plu du tout, même hors considérations de goûts en matière de JDR (d'ailleurs j'en profite pour répéter que je trouve que ce jeu a un potentiel formidable et que je me réjouis de voir comment la nouvelle version sera construite).


A. LES DIFFÉRENTS ASPECTS DU SYSTÈME

A.1. Les masques
Dans la partie que nous avons jouée, nous étions immergés dans l'inconscient d'un patient prêtre ayant développé une peur irraisonnée des enfants.
Nous avons créé nos masques avant de savoir véritablement ce que nous allions rencontrer dans cet « univers mental ». Pour ma part j'avais choisi une dentiste, ne sachant pas vraiment ce qui nous attendait, ce qui, dans ma tête, me permettrait d'exploiter des compétences médicales et me demandant si je pourrais exploiter le côté un peu flippant que l'on attribue parfois aux dentistes.

De la manière dont nous avons joué le scénario, être dentiste ne m'a servi qu'une fois à la fin dans une scène totalement loufoque que voici :
Quand nous avons retrouvé les motards et les enfants qui avaient séquestré le prêtre, j'ai regardé les points où mon personnage était le meilleur sur sa fiche et en mélangeant tout ça, j'ai proposé au MJ l'action suivante : me faire passer pour un « agent de la police de la santé buco-dentaire » venu pour vérifier l'état des dents d'un peu tout le monde en procédant à des soins gratuits.

Comme j'ai réussi mon jet de dés, j'y suis parvenu. La scène était loufoque et avait une crédibilité assez moyenne somme toute.

Je pense donc qu'il serait bien plus fertile pour l'histoire et pour les situations jouées de créer nos masques après avoir pris connaissance de l'univers que nous allions explorer (même si la présentation est succincte, histoire de laisser plus de chances à la partie de ne pas être trop loufoque si c'est la direction que tu veux prendre). À titre d'exemple, la préparation d'Innommable de Christoph Boeckle fonctionne de cette manière (le jeu n'a pas grand chose à voir, c'est juste la méthode de préparation des personnages qui m'intéresse ici) : http://www.silentdrift.net/innommable/


A.2. Les mécaniques de résolution
Voici quelques exemples de résolution rencontrées durant notre partie :
Nous arrivons dans le monde imaginaire, je suis au volant d'une voiture sur une route de campagne bordée de champs de maïs en direction d'un village.
Le MJ me demande si je roule vite ou lentement et si je suis prudent. La représentation que je me fais de mon personnage - quelqu'un d'assez blasé et hautain – me fais décider de respecter la limitation de vitesse sans faire particulièrement attention (je la vois respectueuse des règles, mais pas excessivement précautionneuse, ni parano).
Le MJ me fait faire un jet de dés (raté) et m'annonce que je vois une silhouette se jeter sous les roues de mon véhicules sans que je parvienne à l'éviter. La voiture se plante dans le bas-côté.

- Je ne sais pas si la manière de faire était typique de notre MJ ou si elle était conseillée dans le scénario, mais un simple : « soudain tu vois une silhouette se précipiter sous tes roues ; fais un jet » aurait amplement suffi et aurait été plus propice à un véritable choix de ma part. A-t-on vraiment besoin de savoir si je roule vite ou non dans un moment où on voit le MJ nous tendre un piège ostensiblement (j'ai hésité à dire : je roule lentement et très prudemment sachant très bien que c'était le meilleur moyen pour déjouer le piège que nous tendait le MJ, mais j'ai préféré faire un choix qui soit propre à mon personnage ; si ça avait été une tête brûlée, je l'aurais faite foncer).
- Telle quelle, la technique employée par le MJ a mis l'accent sur des détails techniques et la manigance d'un piège. Est-ce vraiment la direction que tu souhaites pour ton jeu ? (Je reviendrai sur cette question d'ordre plus général plus tard.)

Plus tard, l'un des PJ se retrouve dans le cimetière du village où nous nous sommes rendus face à un avatar du diable. Pour le rejoindre, j'ai décidé de tenter un truc un peu fou-fou : j'ai sauté par la fenêtre du premier étage d'une maison et là, j'ai obtenu une réussite critique (ou quel que soit le nom que ça a dans LMDDC) pour vérifier si j'y parvenais sans encombres. Je ne sais plus quelle est la règle exacte, mais le MJ m'a laissé raconter le résultat ; j'ai alors raconté qu'en tombant à terre, je suis passé à travers le sol qui présentait une matière semblable à de la paille de maïs, me faisant glisser dans une sorte de toboggan souterrain et débouchant dans le cimetière, juste à côté de mon acolyte et de Satan.
- J'avoue que mon action n'avait rien de rationnel, j'ai juste essayé de tester un peu les limites de ce qu'il était possible de faire dans le jeu. Visiblement, il n'y a pas trop de limites si les dés sont avec nous. Cela vaut-il le coup de renforcer cette possibilité d'emprise sur l'univers fictif ? Ou est-ce important de donner un sentiment de réalité fort ? J'ai l'impression que le jeu n'est pas très clair à ce sujet : la liste de caractéristiques est plutôt longue et s'oriente plutôt vers la résolution de tâches des plus techniques aux plus éthérées...

Nous engageons un combat contre le malin, il veut nos âmes, je lui réponds une véritable tirade sur le fait que pour une athée, le diable n'existe pas, pas plus que Dieu et qu'il ne peut donc pas m'atteindre. Jet de dés... échec. Mon partenaire arrive avec un candélabre et l'embroche, fin du combat.
- Je crois qu'il serait intéressant de permettre aux joueurs d'utiliser des moyens d'augmenter leurs chances de succès, qui actuellement ne se base que sur le type d'action entrepris, les caractéristiques servent donc uniquement de normalisateur de comportement : ton personnage est intelligent, tu gagneras donc à utiliser plus cette caractéristique si tu veux augmenter tes chances de succès. Après tout, voir mon beau discours échouer lamentablement sans avoir pu lui donner plus de chances de succès et voir un coup de candélabre gagner était un peu décevant pour l'histoire, le brio ou la représentation que l'on se fait de nos personnages.

Une mécanique mesurant plutôt la façon dont les actions influent sur la psyché des PJ et du patient me paraîtrait plus adaptée qu'une technique cherchant à mesurer la faisabilité de toute action. L'univers est l'esprit d'une personne, a-t-on vraiment envie d'y faire des épreuves d'escalade et de sauter un ruisseau ?
D'autant plus que la dimension immatérielle de l'univers tend à réduire l'intérêt de tels enjeux.

A.3. La préparation de la partie
Le scénario dans lequel nous a fait jouer notre MJ était un bac à sable vide d'interactions à 75% reprenant les canons de certains films d'horreur avec un village abandonné où les adultes sont tous morts, mais les enfants sont introuvables...

Déroulement :
Sur la route on a écrasé un gamin alors qu'on roulait vers le village, là, les plants de maïs ont attaqué l'un des nôtres qui essayait de les utiliser pour marquer l'accident sur la route afin de permettre à d'autres éventuelles voitures de l'éviter. (L'idée venait de moi : je pensais que si l'on agissait de façon morale, on s'attirerait les faveurs du prêtre dans l'esprit duquel on se trouvait, mais visiblement ça ne changeait pas grand chose). On a essayé de téléphoner au commissariat, mais les téléphones ne fonctionnaient pas. Puis, arrivés au village à pieds, on a exploré 3 ou 4 maisons dans lesquelles on a trouvé les adultes morts et de la paille de plants de maïs, ainsi que des programmes TV pour enfants.

Au cimetière on a rencontré le diable (le MJ nous a expliqué après la partie qu'il se trouvait devant la tombe d'un enfant que le prêtre avait tué dans un accident de voiture dans la réalité). Comme il nous menaçait, le champ de nos comportements était tout tracé : combattre ou fuir.

Et un peu comme par magie, une grange est apparue suite à un incendie involontaire d'un champ de maïs (les pieds de maïs étaient ils si hauts qu'ils nous la cachaient ?)

Dans la grange, on a trouvé les motards (incarnation de l'immoralité et de la dépravation comme notre MJ nous l'a expliqué après la partie) et des enfants qui martyrisaient le prêtre séquestré dans une cage (donc, on a subodoré qu'il avait vécu cette situation étant enfant ce qui, il me semble s'est avéré exact).

J'ai détourné l'attention des motards, puis des enfants avec les fameux soins dentaires et mes comparses ont délivré le prêtre.

Première remarque (d'importance) : sur trois joueurs, on est deux à s'être ennuyés pendant la majeure partie de la partie.
Des lieux vides, sans personne, un lieu figé où rien n'était amené à évoluer, des situations censées être horribles, mais bon, on en a vu d'autres depuis qu'on fait du JDR et qu'on regarde des films, donc je ne peux pas dire que ça nous ait captivé.
Surtout, rien ne nous a vraiment impliqué en terme de choix et d'action : l'accident de la route, on n'avait aucune perspective puisqu'on a découvert après coup l'enjeu. J'ai donc passé les deux premiers tiers de l'histoire à me demander ce que le MJ attendait de nous et la plupart de mes actions étaient des tentatives de trouver les enjeux, des motifs d'action, de réaction ou d'interaction.
Le diable nous voulait du mal, on l'a combattu. C'était le premier moment où l'enjeu était clair, même si la raison de sa présence n'était, elle, pas claire du tout (bon, on était dans la tête d'un prêtre, c'était pas suffisant pour en faire un lien bouleversant) et le fait qu'il était devant la tombe du gamin décédé suite à l'accident dans lequel le patient était impliqué, on ne l'a appris qu'après la partie, autant dire donc que c'était absent de l'histoire.

La scène finale était cocasse, loufoque, on a bien ri, c'était le moment de plus forte intensité émotionnelle de la partie. Quelque part, n'était-ce pas prendre plaisir au détriment du jeu ? Je veux dire par là que la situation était globalement plutôt sinistre, on y parle de torture, de tourments, du diable etc. Et le meilleur moment, c'est quand on a déconné à pleins tubes...

Tout le reste était constitué de petits messages mystérieux vis à vis desquels le seul enjeu était de les découvrir, ce qui n'opposait pas vraiment de résistance.
La cohérence de tout cela était assez évidente, mais les quelques points d'ombre ont été éclaircis après la partie par le MJ. Le défaut de ce procédé, c'est que les révélations faites après la partie n'ont plus la force d'une révélation in situ. C'est une rustine pour des informations que l'on aurait gagné à découvrir pendant la partie. Mais quand elles sont dissimulées ou quand elles dépendent des actions des joueurs, c'est normal qu'on ne les ait pas toutes.
De plus, les révélations ne nous ont pas scotchés. C'est un problème classique dans les jeux à mystère : il faut que le mystère, une fois dévoilé, dépasse les attentes des joueurs sans quoi ce n'est pas très satisfaisant et après quelques années de JDR, non seulement on les voit venir, mais en plus, les joueurs blasés sont légion et il faut mettre la barre haut pour les émouvoir vraiment.
Bon, cependant, si la partie nous avait amené de vrais enjeux bien truculents, cela n'aurait pas posé problème, mais comme c'était le cœur de la partie c'était décevant.

Ma grande question concernant la préparation, c'est : des scénarios en bac à sable, où l'on risque de passer à côté de révélations importantes, est-ce vraiment le meilleur moyen de mettre en valeur le sujet de ton jeu ? (Je te renvoie à Innommable pour un exemple de préparation de situation qui me paraît hautement fonctionnel, peu importe la démarche créative du jeu).


A.4. Les conséquences
A la fin de la partie, le MJ nous a attribué des séquelles. Voici quelques exemples :

Psychopathie soudaine :
Au moment de l'accident de voiture où mon personnage a tué un gamin, j'ai joué mon personnage plutôt détaché, après tout, dans la vraie vie, elle est psychiatre, elle ne va pas se laisser attendrir par un événement fictif un peu sorti de nulle part et comme il nous échappait si l'on examine la procédure à l’œuvre, je ne m'en sentais pas vraiment responsable.
Résultat, en sortant de l'esprit du patient, mon personnage est devenu quelqu'un sans sentiment, voire même psychopathe...

Pyromanie brusque :
Le personnage de Gaël étant piégé dans un champ de maïs qui essayait de le tuer au début de la partie a mis le feu a un pied de maïs pour pouvoir s'enfuir. Il a précisé qu'il prenait garde à ce que le feu ne se répande pas.
Résultat, vers la fin de la partie, le feu s'est propagé et a brûlé l'ensemble du champ.
Conséquence : je ne sais plus si c'est lui-même ou le patient qui est devenu pyromane.

Je trouve que l'idée des conséquences psychologiques est géniale, maintenant, en pratique, ça dérive sur des choses assez décevantes : dès qu'il y a du feu on va se trouver avec un pyromane, dès qu'il y a un vol, on va engendrer un cleptomane etc. On risque plus de poncer les poncifs qu'autre chose. D'abord, le MJ ne doit pas décider arbitrairement des séquelles selon les événements de la fiction. Je pense que n'importe quel événement de devrait pas pouvoir produire de telles conséquences, aussi important soit-il, ne serait-ce que parce que tout le monde ne réagit pas de la même façon à un même événement. C'est là où le système de résolution devrait intervenir : il pourrait comptabiliser des points de névrose pouvant se transformer en points de psychose plus tard, créant donc un barème de gravité, mais cela permettrait surtout d'empêcher à tout prix qu'un incendie crée un pyromane, car c'est vraiment à la limite de l'incohérence dans la partie que nous avons jouée.
Établir une causalité psychologique est une des choses les plus casse-gueule du monde (il n'y a qu'à voir les films ou les romans qui s'y essayent). En permettant aux joueurs et au système de pondérer la gravité et l'aspect littéral de ces conséquences, tu devrais arriver plus facilement à un résultat moins abracadabrantesque.


B. DERNIÈRES RÉFLEXIONS

Ok, les parties foirées, ça arrive, qu'est-ce qui relève du jeu, qu'est-ce qui relève du MJ, qu'est-ce qui relève du scénario, qu'est-ce qui relève des joueurs, qu'est-ce qui relève du groupe ? C'est ce que j'ai essayé de définir. J'espère que ça t'aidera.
Pour finir, je reviens sur deux points majeurs :

B.1. Les loufoqueries :
Je pense que différentes choses conduisent aux loufoqueries : les décalages entre les masques et les situations jouées ; le fait que le système de résolution porte sur des tâches souvent anodines au lieu de se centrer sur les enjeux importants et psychologiques ; le fait que l'univers est fictif pour les personnages : tout paraît moins tangible, il faut donc que les conséquences directes et indirectes des actions soient plus lisibles et plus pesantes. Plus présentes mêmes, voire plus menaçantes. De cette façon, il y a fort à parier que la dimension loufoque du jeu deviendrait alors un choix plutôt qu'une contrainte. Dans ma dernière version des Cordes Sensibles, j'ai travaillé sur les conséquences psychologiques des actes des personnages si ça t'intéresse (voir ma signature).

B.2. La direction générale du jeu :
Tel que le jeu est conçu, il privilégie une étendue de possibilités de contextes, de situations, de personnages et de façons d'être joué énormes. Pour y parvenir, il exige de chacun des qualités proportionnelles : MJ, scénario, joueurs, cohésion du groupe...
En réduisant un peu le champ des possibles qu'offre le jeu, tu pourrais renforcer l'efficacité de ton jeu à l’œuvre.
Voici quelques pistes :

Doctor Who : à la manière de cette série (ou de Star Trek), les joueurs explorent la psyché humaine comme des mondes à part entière, privilégiant l'aventure et l'exploration de mondes étranges et inconnus. Le problème à mon sens, c'est que d'autres jeux permettent de jouer ces aventures dans des terres inconnues mieux que LMDDC. Est-ce vraiment la meilleure piste à explorer ? Surtout que l'absence de matérialité des univers mentaux tend à faire manquer de consistance tous les enjeux autres que psychologiques. Ça ne me paraît pas être le meilleur moyen de tirer parti du sujet de ton jeu. Ici, le fait d'entrer dans la tête des gens n'est qu'un prétexte pour vivre des aventures dans le style des fictions citées.

Puzzle psychologique : j'ai senti une tentative de créer un puzzle psychologique dans ce scénario, c'est une option qui me paraîtrait tout à fait intéressante : différents événements de la vie du patient constituent un monde, il faut parvenir à comprendre ce qui les lie pour trouver la clef de la voie de la guérison.
C'était clairement sous exploité dans notre partie : on pouvait arriver à la fin sans rien comprendre et les indices étaient évocateurs sans constituer de vraies énigmes.
Préparer des puzzles psychologiques demande pas mal de boulot et c'est pas forcément évident à structurer de manière efficace, mais ça peut créer des enjeux terribles quand on y arrive.
Si l'énigme n'est pas suffisamment difficile, les joueurs vont s'ennuyer. Si l'énigme est trop difficile, les joueurs vont s'ennuyer aussi. Guillaume (Nocker) me parlait d'un moyen de résoudre ça, qui serait de placer des énigmes de difficulté progressive avec l'idée soit que l'on peut essayer de terminer le jeu sans les réponses aux dernières énigmes avec un grand risque de mal comprendre la véritable situation et donc de rater la thérapie, ou alors en faisant en sorte que les avant-dernières énigmes permettent de résoudre les dernières facilement.

Explorateurs de l'esprit humain : le but ici n'est pas tant de résoudre une énigme que de mettre en place tout ce qu'il faut pour permettre aux joueurs de croire à la possibilité des mondes psychiques que l'on explore. Il pourrait y avoir un vrai travail de recherche sur la structure de l'esprit humain afin de créer des univers avec une logique forte, une foultitude de détails. Ici, un MJ mènerait la barque et devrait donc mettre en œuvre des qualités de mise en scène, de narration etc. Et les joueurs interagissent avec ce qu'ils rencontrent en sachant très bien que leur emprise sur l'histoire est limitée (ce qui en fait un enjeu secondaire en réalité). La difficulté réside en un besoin de proposer aux joueurs des mondes complexes, surprenants et capables de pousser au rêve éveillé.

Explorer les conséquences des actes des personnages et de leurs choix moraux (ou non) face aux tourments du patient : dans ce cas de figure, l'univers mental présente des enjeux dont les issues ne sont jamais toutes bonnes ou toutes mauvaises. En ayant la possibilité d'envisager les conséquences de leurs actes, les PJ devront faire des choix lourds de conséquences. Dans les situations, ils peuvent revivre ce qu'a vécu le patient, en cherchant à faire leurs propres choix. Le fait de guérir ou non le patient est ambigu, car soigner une névrose peut en créer une autre. Ces situations exigent généralement d'impliquer des PNJ dans les situations car il est difficile de faire face à des choix moraux seul dans un endroit désert.

Il doit exister plein d'autres façons d'appréhender le jeu, en fonction de ton but de game design, il sera alors pertinent de discriminer les techniques à utiliser dans le but de renforcer le type d'expérience souhaitée.
Tel que ta précédente version était conçue, je pense qu'elle essayait de faire toutes ces propositions en même temps, au final on n'en a joué aucune de manière véritablement satisfaisante dans notre partie.

***

Bien, j'ai fini mon long post, faire une critique est chose ardue, j'espère que globalement ça n'aura heurté personne, si c'est le cas, on peut en discuter en privé.

Daniel, ce que je te propose, c'est de me demander si tu souhaites poursuivre la discussion autour des points que j'ai évoqués ici qui t'intéressent et de laisser de côté les autres.

Je réponds à toute question, mais le but de ce thread est d'aider Daniel.
Frédéric
 
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par chestel » 12 Jan 2012, 20:09

Bonsoir Frédéric

merci de ta critique, bien étayée ce qui me permet de voir les points à améliorer. Je suis preneur de critiques de ce style car depuis 20 ans que je fais jouer ce jeu, j'ai élagué pas mal de problèmes, sans m'en rendre compte, ce qui ne facilite pas le travail de reécriture.

Chestel est un jeu simple à jouer mais difficile à expliquer et plein de subtilités et avec un formidable potentiel : j'y joue régulièrement (95% du temps comme meneur) et je ne m'en lasse pas. J'aimerais bien avoir le point de vue du MJ, en particuliers ses difficultés. Vous avez joué le scénario du livret de base, l'amnésique est plus conseillé pour un premier scénario en tant que meneur.

Frédéric a écrit :Nous avons créé nos masques avant de savoir véritablement ce que nous allions rencontrer dans cet « univers mental ». Pour ma part j'avais choisi une dentiste, ne sachant pas vraiment ce qui nous attendait, ce qui, dans ma tête, me permettrait d'exploiter des compétences médicales et me demandant si je pourrais exploiter le côté un peu flippant que l'on attribue parfois aux dentistes.

C'est voulu : je préconise même de faire un personnage avec des compétences vraiment inutiles genre jouer du Yukulélé, faire cuire un oeuf sur le plat, mon sourire plait aux vielles dames, je fume un cigare odorant qui laisse des cendres partout. On se lache plus à la deuxième partie, preuve que je dois améliorer mes explications sur ce point, ce que je vais faire en rendant beaucoup plus léger le ton de la présentation. Chestel c'est de la psychologie de comptoir, avec des gros sabots, des gants de boxe et surtout un nez rouge. Ton choix du dentiste est tout à fait dans le ton.
On a fait l'expérience : changer de personnage et rejouer le même scénario amène à des résultats totalement différent, et des "solutions "vraiment surprenantes.

Frédéric a écrit :La scène finale était cocasse, loufoque, on a bien ri, c'était le moment de plus forte intensité émotionnelle de la partie. Quelque part, n'était-ce pas prendre plaisir au détriment du jeu ? Je veux dire par là que la situation était globalement plutôt sinistre, on y parle de torture, de tourments, du diable etc. Et le meilleur moment, c'est quand on a déconné à pleins tubes...
. C'est le but. .Je tiens à garder ce principe qui allège les scénarios, car un inceste, un suicide, un remord, ça peut être assez lourd. Mais c'est pas vraiment rendu dans le livre de jeu. ça va changer !

Frédéric a écrit :Comme j'ai réussi mon jet de dés, j'y suis parvenu. La scène était loufoque et avait une crédibilité assez moyenne somme toute.

Des joueurs qui ont l'habitude arrivent à faire des choses extrêmement crédible : le MJ déconne dans le scénario, aux joueurs de rattraper. Moins c'est crédible, plus il devrait y avoir de séquelles. Mais c'est au joueurs de trouver des explications. Par exemple :
Frédéric a écrit :Pour le rejoindre, j'ai décidé de tenter un truc un peu fou-fou : j'ai sauté par la fenêtre du premier étage d'une maison et là, j'ai obtenu une réussite [...] j'ai alors raconté qu'en tombant à terre, je suis passé à travers le sol qui présentait une matière semblable à de la paille de maïs, me faisant glisser dans une sorte de toboggan souterrain et débouchant dans le cimetière, juste à côté de mon acolyte et de Satan.
pourquoi ce patient ne va t'il pas sauter par la fenêtre du premier étage la prochaine fois qu'il est pressé ? Ton perso aurais pu rester crédible et arriver trop tard...mais c'est dur, hein ?

=> je pense que je devrais insister sur cet aspect du MJ : la réussite de la guérison est le pb des joueurs, pas du MJ. à lui de compter les points et de noter les failles.

Frédéric a écrit : Visiblement, il n'y a pas trop de limites si les dés sont avec nous. Cela vaut-il le coup de renforcer cette possibilité d'emprise sur l'univers fictif ? Ou est-ce important de donner un sentiment de réalité fort ? J'ai l'impression que le jeu n'est pas très clair à ce sujet : la liste de caractéristiques est plutôt longue et s'oriente plutôt vers la résolution de tâches des plus techniques aux plus éthérées...
Les joueurs peuvent réussir l'impossible, c'est une grosse tentation du jeu : se faire écraser par un camion et s'en sortir sans une égratignure, c'est possible. Mais que va faire le Patient qui croit qu'on peut sans danger se faire écraser ? dans le réel, ça ne pardonne pas.
Cet aspect du jeu est générateur de suspense : "on a failli faire ça" se disent les joueurs à la fin, car ils ont une conscience professionnelle, et ils ne l'ont pas fait. mais il auraient pu.
Par contre la gestion des séquelles est un point d'amélioration sur lequel je sèche.
La limite, c'est ce que se fixent les joueurs.
Mais parfois, on ne réussit pas ce qu'on souhaitait faire : c'est l'effet Mission impossible : un plan d'enfer, et un imprévu sur lequel il faut improviser dans l'urgence. Franchement, le beau discours était bien, quoique difficile à réussir dans l'esprit d'un prêtre : Dieu et le Diable existent dans ce monde, c'est son crédo. Une réussite l'aurait privé de sa foi, mais guérit de la peur du Diable.
le coup du chandelier est typique de l'impro => dans le réel, quelle sera la réaction du Pretre face à quelq'un qui a l'air possédé, surtout s'il a une bougie pas loin ou pire, son support pointu ?

Je vais réfléchir sur comment expliquer mieux cette partie. Est ce que le coté "on joue aux apprentis sorciers" et " ca va péter" était présent ? Le final loufoque (et en général relativement bancal) vu comme ceci est il plusacceptable ?

En résumé, ma vision moderne de Chestel est de jouer fun, avec une limite : le sens moral du joueur. Le coté aléatoire du plan est ce qui génère du suspense et des gaffes donc des séquelles.

à un autre jour pour la suite, car ton post est très riche et soulève bien d'autres points
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par chestel » 14 Jan 2012, 19:47

[quote="Frédéric"Je trouve que l'idée des conséquences psychologiques est géniale, maintenant, en pratique, ça dérive sur des choses assez décevantes : dès qu'il y a du feu on va se trouver avec un pyromane, dès qu'il y a un vol, on va engendrer un cleptomane etc. On risque plus de poncer les poncifs qu'autre chose. D'abord, le MJ ne doit pas décider arbitrairement des séquelles selon les événements de la fiction. Je pense que n'importe quel événement de devrait pas pouvoir produire de telles conséquences, aussi important soit-il, ne serait-ce que parce que tout le monde ne réagit pas de la même façon à un même événement. C'est là où le système de résolution devrait intervenir : il pourrait comptabiliser des points de névrose pouvant se transformer en points de psychose plus tard, créant donc un barème de gravité, mais cela permettrait surtout d'empêcher à tout prix qu'un incendie crée un pyromane, car c'est vraiment à la limite de l'incohérence dans la partie que nous avons jouée.
Établir une causalité psychologique est une des choses les plus casse-gueule du monde (il n'y a qu'à voir les films ou les romans qui s'y essayent). En permettant aux joueurs et au système de pondérer la gravité et l'aspect littéral de ces conséquences, tu devrais arriver plus facilement à un résultat moins abracadabrantesque.[/quote]

Je suis tout à fait d'accord avec toi, et maintenant que tu le dis, c'est une évidence.Actuellement, je laissais mes joueurs en choisir une pour leur perso. Après tout, quand on a commencé avec un personnage délirant, autant y aller à fond.
En évacuant le coté sérieux du jeu, je zappe le souci de cohérence à la justification abracadabrante, donc le hasard peut décider : le Patient ou le Soigneur va avoir une séquelle parce qu'il y a eu contamination entre les deux esprits, que j’appelle pour le moment un Channeling. ça peut se passer à n'importe quel moment, pour n'importe quelle action, mais c'est rare, pas plus d'une ou deux par partie (au niveau des stats, je me débrouillerais pour que le système colle). De plus, en enlevant la responsabilité du jugement de valeur sur le comportement des joueurs au MJ, je pense que je simplifie son travail, surtout pour un débutant.
La séquelle devrait quand même être liée à l'action du moment : planter un chandelier dans le dos du Diable, écraser un enfant, mettre le feu à un champs de maïs, entrer dans une propriété privée, se méfier ou faire trop confiance, se déplacer très rapidement, tout doit potentiellement pouvoir créer une séquelle.
Voici l'échelle d'impact sur le Patient ou le Soigneur qui m'est venu à l'idée :
effet visible : obsession
effet visible : règle de conduite, croyance
effet invisible ; réaction disproportionnée et illogique à un évènement courant
effet invisible ; réaction disproportionnée et illogique à un évènement rare
aucun effet.

aux participant après de faire correspondre l'échelle d'impact avec la partie de l'évènement la plus adaptée à la logique de la situation ou au ridicule, avec un garde fou : un personnage qui deviendrait irresponsable ne pourrait plus participer aux prochaines séances.
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par Frédéric » 23 Jan 2012, 12:16

Salut Daniel, je suis content que mes critiques t'intéressent.


Concernant les points sur la crédibilité, je pense que ce n'est pas une chose avec laquelle on peut transiger, car ça peut abîmer l'implication des joueurs. Tout JDR a besoin d'une bonne crédibilité, quel qu'il soit (ce qui n'a absolument rien à voir avec le « réalisme »). Il y a de bons moyens de garantir une bonne crédibilité aux parties, si ça t'intéresse, je peux développer ce point.


Concernant l'humour, je pense qu'il ne doit pas se faire au détriment des joueurs (le coup de choisir le masque avant de connaître l'univers que l'on va explorer), l'humour me paraît généralement plus fertile lorsqu'il est secondaire, que le jeu ne nous force pas à en faire. Il peut néanmoins y avoir des perches tendues, (par exemple dans Rônin, les PJ sont des crève-la-faim toujours en quête de nourriture. Et ce simple fait amène parfois de l'humour dans la partie, sans toutefois le forcer) mais ça vaut le coup de laisser les joueurs ET le MJ avoir un contrôle dessus.


Au sujet de la psychologie de comptoir, je crois vraiment qu'il y a moyen d'augmenter la crédibilité des impacts psychologiques sur les personnages (PJ et PNJ) sans pour autant avoir des conséquences au premier degré, typiquement :
se faire écraser par un camion et s'en sortir sans une égratignure, c'est possible. Mais que va faire le Patient qui croit qu'on peut sans danger se faire écraser ?

Pour moi, ce rapport de causalité est improbable.
Pour que les joueurs aient moins l'impression d'être des jouets dans les mains du MJ, le fait de créer des conséquences indésirables devrait être un choix critique, par exemple :
Je lance mes dés pour réussir une action ou pour surmonter un conflit et j'échoue. J'ai une ressource supplémentaire sur ma fiche de personnage qui me permet de relancer les dés, ou d'ajouter un bonus. Mais quand je l'utilise, je sais qu'immanquablement ou statistiquement je vais produire des conséquences indésirables.
Le MJ peut tenir une liste des points de conséquences indésirables (ou séquelles), voir Innommable et la liste du sort : http://www.silentdrift.net/innommable/

L'intérêt de ce genre de mécaniques, c'est que les joueurs peuvent limiter les conséquences indésirables, ou au contraire foncer (et donc prendre plaisir à voir leur « gaffes » mises en œuvre puisqu'ils sont conscients qu'elles peuvent survenir), plutôt que de se retrouver empêtrés dans des situations où tout ce qu'ils vont faire pourra être retenu contre eux sans trop savoir ce qui créera des conséquences. Bordel, on est des psychiatres quand même ! :)
La différence sur le ressenti du joueur avec ce genre de techniques est sans pareil, car quand tout nous échappe, on perd l'envie de s'impliquer. Le MJ lui-même sera tenté de leur placer des situations avec des enjeux suffisamment costauds pour inciter les joueurs à utiliser leur ressource spéciale qui produit des effets indésirables.

Ces effets indésirables peuvent ne concerner que le patient et l'issue d'un jet de dés normal peut concerner les PJ eux-mêmes.
Et puis, ça peut être intéressant que certaines de ces conséquences surviennent pendant la partie plutôt qu'après, ça créerait plus de rebondissements.


Enfin, c'est une technique assez classique dans les jeux de The Forge.

***

Pour poursuivre la discussion, j'aimerais vraiment connaître le point central de ton jeu. Il y a plusieurs choses que tu veux mettre dedans, mais qu'est-ce qui est au cœur ?
Frédéric
 
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par chestel » 26 Jan 2012, 21:40

Frédéric a écrit : Il y a de bons moyens de garantir une bonne crédibilité aux parties, si ça t'intéresse, je peux développer ce point.


effectivement, ça m'intéresse. La crédibilité est indispensable car le garde fou du jeu, qui empêche de partir en n'importe quoi, est que les Joueurs veulent soigner le Patient en lui laissant le moins de séquelle possible. ça ne m' a pas posé de problème et les retours que j'ai eu allaient toujours dans ce sens. Est ce bien cette crédibilité là dont tu parles, que le sjoeurs prennet leur rôle à coeur ? est ce que ça t'a posé problème ?

Frédéric a écrit :le coup de choisir le masque avant de connaître l'univers que l'on va explorer
ce n'est pas un point signalé gênant habituellement. J'y suis venu par expérience car ça déclenche des situations improbables. de plus, dans mon idée, tu vas garder ton perso de scénario en scénario. Peux tu STP développer ce qui te gène ?
Frédéric a écrit : Bordel, on est des psychiatres quand même ! :)
ben justement non :-), on est des quidams qui se prennent pour des psychiatres, mais de bonne volonté !

Frédéric a écrit :la liste du sort : http://www.silentdrift.net/innommable/
: je suis une bille, je n'ai pas trouvé la liste du sort. Sinon, Innomable me semble très bien et j'ai bien envie d'y jouer.

Frédéric a écrit :Au sujet de la psychologie de comptoir, je crois vraiment qu'il y a moyen d'augmenter la crédibilité des impacts psychologiques sur les personnages (PJ et PNJ) sans pour autant avoir des conséquences au premier degré, typiquement :
se faire écraser par un camion et s'en sortir sans une égratignure, c'est possible. Mais que va faire le Patient qui croit qu'on peut sans danger se faire écraser ?
Pour moi, ce rapport de causalité est improbable.
Pour que les joueurs aient moins l'impression d'être des jouets dans les mains du MJ


Je suis d'accord avec toi, les pJ ne sont pas des jouets au main du MJ : je laisse souvent mes joueurs accepter la séquelle que je propose, qui est plus une "médaille" qu'une gène, et les joueurs arrivent toujours à justifier un avantage d'une séquelle.
L'exemple du camion est un exemple de séquelle sur le monde du patient : si le patient croit qu'on peut se faire écraser sans danger parce qu'il l'a vu dans son Intracos, il va risquer un accident dans le monde réel. Il n'y a pas de séquelle pour le personnage du joueur (sauf peut être Invulnérable aux camions).
C'est un point important et une des bases du jeu, en quoi te semble t'il improbable ?
c'est justement avec cette "logique" qu'on contrôle l'action des personnages et qu'on même le scénario : la guérison n'est qu'une séquelle particulière, volontaire et heureuse.




Frédéric a écrit :mais qu'est-ce qui est au cœur ?

Mon cahier des charges : on doit ressentir de l'empathie pour le Patient, en général par des scènes imposées qui dépeignent le monde intérieur. L'Accident, le village, le Diable sont des scènes (le Diable n'est pas un problème mais une illustration des croyances du Patient).

le problème apparaît alors (loubards, enfants et le Patient). Une fois la situation comprise, les Soigneurs doivent élaborer un plan qui va plus ou moins foirer, ce qui nécessite de l'improvisation pour rattraper le coup ce qui génère des séquelles car le plan B n'est pas fignolé. Et ça doit générer le rire.
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par Fabien | L'Alcyon » 27 Jan 2012, 11:44

Salut Daniel,

Je suis avec beaucoup d'intérêt cette nouvelle version de La méthode du docteur Chestel parce que j'avais eu le plaisir de découvrir ce jeu avec toi et même de jouer ce scénario (nous avions également joué le scénario de la femme qui imaginait sa fille, je vais y revenir).

Je me permets d'intervenir dans ton échange avec Fred parce qu'il y a un point important pour le développement de ton jeu. En fait, je m'interroge sur la compatibilité d'un humour absurde avec l'empathie pour le Patient. L'empathie, ici, me semble provenir du fait qu'on comprend graduellement l'origine de la souffrance du Patient par les symboles qu'on rencontre dans son esprit. Comme on comprend sa souffrance, on a envie de l'aider en faisant changer les choses en douceur dans sa tête. Je me souviens que j'avais effectivement ressenti ça en jouant le scénario de la femme qui s'imaginait sa fille avant de comprendre graduellement qu'elle ne pouvait pas avoir d'enfants parce que son mari ne voulait pas et que ça la rendait malheureuse. J'avais effectivement trouvé ça très fort et j'étais en empathie pour elle.

La difficulté c'est que l'humour absurde (soigneurs à côté de la plaque, incompétents, compétences inutiles, justifier des actions absurdes) a tendance à désamorcer cette empathie, parce qu'il nie la douleur ou il la rend inoffensive, parce qu'il rappelle qu'au fond rien de tout ça n'est vraiment réel ou grave (sinon on aurait envoyé des gens compétents).
Si l'empathie des joueurs pour le patient est vraiment le coeur de ton jeu, alors je crois qu'il faut que tu te concentres là-dessus et que tu mettes de côté des éléments annexes comme introduire de l'humour ou l'enjeu pour les joueurs d'être créatifs avec des personnages inadaptés. Ces éléments peuvent revenir après, mais pas être centraux. L'expérience procurée par ton jeu n'en sera ainsi que plus intense, plus puissante.
Attention ! Je ne dis pas que tu ne peux pas avoir d'humour dans ton jeu, mais il faut peut-être que ce soit une forme particulière d'humour (l'humour grinçant peut très bien exprimer la souffrance) et je crois qu'il faut certainement que ce soit amené plus légèrement et plus subtilement dans le jeu plutôt que de l'imposer par l'incompétences des personnages ou d'autres moyens trop directs (par exemple le fait de devoir justifier a posteriori des actions absurdes sur le moment). Je suppose que le fait d'être dans un univers onirique sera déjà suffisant pour que des joueurs avec des personnages compétents profitent pleinement et de manière amusante des possibilités d'un tel contexte.

Toujours dans l'idée de renforcer l'empathie envers le patient, je crois qu'il est très important que l'apparition de séquelles ne soit pas aux mains de l'arbitraire du meneur. Un joueur sait que lorsqu'il tente une action avec son personnage qu'il risque de causer une séquelle, surtout si cette action est audacieuse. Si le joueur est empathique avec le patient, la séquelle est bien un risque pour le joueur, puisqu'il risque d'y avoir des conséquences fictionnelles graves à son acte. Mais pour que ce risque soit pris au sérieux, que les joueurs pèsent vraiment le pour et le contre avant d'agir (ce qui soutient leur empathie, donc), il faut qu'ils puissent avoir une certaine visibilité sur ce qui va se passer, donc une règle claire ; s'ils ne savent pas vraiment ce qu'ils risquent, ils seront vraisemblablement désengagés (« on peut rien faire contre, donc inutile de s'en soucier », stoïques) ou, pire, dans la tentative de faire plier le meneur affectivement en lui demandant d'être sympa, etc. Je crois qu'une telle règle n'est pas très difficile à mettre en place: par exemple chaque fois qu'un personnage tente une action qui transgresse les lois de l'univers du patient, on ajoute des points à une jauge ; une fois que la partie est terminée, on lance autant de dés que de points dans la jauge, si le total dépasse un certain score le patient a une séquelle négative, choisie pour être forcément en lien avec au moins un des actes qui l'a créée. Même s'il y a de l'aléatoire, le fait de savoir où on va et de pouvoir vouloir y aller permet d'impliquer les joueurs, de donner un vrai sens à leur décisions.

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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par chestel » 27 Jan 2012, 20:04

Merci Fred et Fabien, effectivement, je dois faire attention à ce point et ne pas aller trop loin : humour, oui, délire non.

J'ai eu des tables délirantes,grâce à la téléperception il y a un effet d'entrainement et après cette phase de délire, les joueurs reviennent au vrai valeurs : par contre je me suis sentis obligé de leur rappeler leur mission, et ça retombe aussi vite que c'est monté, mais effectivement, il y a eu suspension de "réalité de la mission" et donc nécessité d'intervention du MJ.

De même , certains récits de partie qu'on m'a raconté me gênent par leur coté extravagant et le fait que le Patient soit devenu secondaire => Fred a mis le doigt sur un point important.

La remarque que j'ai souvent est la surprise quand je présente le jeu de manière délirante. Dans mon esprit, les scénario sont généralement bien délirants, charge aux joueurs de ramener le sérieux dans ces univers mentaux. Le sérieux et la responsabilisation est la ligne de conduite des joueurs, je dois bien insister là dessus. je le fais (ou je crois que je le fais) naturellement lors d'une partie, mais maintenant, je m'en rend compte et je vais donc essayer de le transcrire. Fabien, cette responsabilité était elle claire lors de notre partie ? Pour moi notre partie s'est déroulée de manière normale, ai je bien fixé les limites du raisonnable ? et surtout comment ?

est ce bien ce que tu essayais me faire comprendre ou y a t'il autre chose ?

Innomable, j'ai trouvé la version française et la liste de sort est maintenant claire : j'avais du mal en anglais.. c'est une excellent idée. Je pensai à un retour de bâton automatique en fonction du niveau de mauvais points vis à vis de L'intracos, en faire quelque chose de modulable par le MJ est sympa. A tester.

Je suis d'accord avec vous concernant les séquelles : elles doivent dépendre de la situation (impactant beaucoup ou peu) et du risque que prend le joueur. Typiquement, dans mon esprit, on choisira de lancer plus ou moins de dés : plus de dés = plus de réussite mais aussi plus de chance de faire une combinaison (double, triple,etc) qui déclenche un effet secondaire. Quand on prend le temps de réfléchir et d'agir par petite dose, ça va, mais quand on doit agir dans l'urgence, ça a des chances de dégénérer.
Pour mettre la pression, je pense utiliser la Némésis (style Mall/Marion Cotillard dans Inception), de plus en plus présente à mesure que le temps passe et de plus en plus capable de déclencher des séquelles aussi par sa seule présence. On joue souvent avec des contraintes horaires (dernier métro, repas des enfants), rajouter une contrainte de temps pour l'accomplissement de la mission permet de justifier ce besoin externe au jeu.

un autre point que je souhaite approfondir est la création du personnage : avant ou après le dossier du Patient ? j'en suis venu à cette création après pour deux raisons :
- le personnage est censé être employé pour guérir plusieurs cas : l'équipe n'est pas choisie à priori en fonction du Patient
- la combinaison des personnage amène des résultats surprenant. Chacun regarde ses compétences et essaie d'imagine en quoi elle peuvent être utile, et miracle, il y a toujours eu une combinaison qui fait dire après "mais bien sûr, c'est évident, c'est comme ça qu'il faut faire pour soigner le Patient". sans cet apport hasardeux, les parties seraient répétitives, surtout pour le pauvre MJ que je suis qui enchaîne les scénario les plus courts de son panel pour tenir dans les horaires des joueurs.
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par Fabien | L'Alcyon » 27 Jan 2012, 23:02

Je n'ai pas le souvenir que tu nous ais beaucoup précisé que c'était aux joueurs de ramener le sérieux, mais j'avoue que c'était il y a plus de 6 mois donc je n'ai pas de souvenirs très clairs sur ce point. J'ai cependant le souvenir que je ne disposais pas vraiment d'outils (c'est-à-dire des règles ou des aides immédiates) pour garder ce sérieux.
Pas de sous-entendus de ma part, juste pointer le fait que, à mon avis, demander aux joueurs de trouver des explications pour des faits absurdes et leur demander de créer du sérieux dans un univers délirant, risque de nuire à leur empathie pour le patient en les chargeant d'une tâche supplémentaire et qui risque de nuire à leur crédibilité pour l'univers (pour reprendre le terme de Fred).
Parallèlement, je dois dire que je ne comprends pas à quoi sert cette responsabilité. Pourquoi les joueurs doivent-ils rendre l'univers sérieux alors qu'il ne l'est fondamentalement pas ? Est-ce que c'est une image pour montrer qu'ils guérissent ou comprennent mieux le patient ? Si c'est le cas, ne vaudrait-il pas plutôt demander aux joueurs de chercher les signifiés des symboles inconscients du patient (pour comprendre l'origine de sa souffrance et donc le soigner) ?

Pour les séquelles, je suis content que ça t'aide. Je crois que ton idée de choisir un nombre de dés à lancer est vraiment pertinente. La Némésis est une idée intéressante, sans doute à mettre en lien avec l'idée de liste du sort comme dans Innommable.
Cependant, je me permets d'insister sur mon idée centrale: pas d'arbitraire dans les mains du meneur, ou alors bien encadré par les règles et contrôlable par les joueurs (comme c'est le cas pour la liste du sort d'Innommable).

En ce qui concerne la création de personnage, j'avoue que sans exemple concret je suis un peu désarmé pour t'aider. Peut-être qu'un autre rapport de partie en essayant une création "avant" permettrait d'y voir plus clair ? Pour comparer avec le système actuel.
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par chestel » 28 Jan 2012, 00:26

sérieux était opposé à délirant et n'est pas le bon terme alors, disons normal et réaliste, comme notre monde réel. Plus le monde intérieur s'éloigne de la normalité, plus le Patient est dérangé dans le monde réel.

Ce fil est extrêmement important pour moi : Chestel est une intuition que je n'arrive pas à expliquer, seulement à partager avec certaines personnes. J'ai des pistes pour comprendre enfin mon jeu.

Innomable me plait beaucoup pour répondre à Fred : qu'est ce qui est au coeur ?

Voici comment devrais se dérouler une partie (c'est expérimental) :
Monde réel :
Les Soigneurs se présentent les uns aux autres dans l'hôpital. Le Patient est endormi (si on peut lui poser des questions, ca dure et c'est compliqué)
Le Dossier du Patient est lu aux Soigneurs par le MJ : on y apprend le problème du Patient (peur de , souffrance d'origine inconnue, réaction bizarre) puis le quotidien du Patient (amis, métier, passions, évènements marquants).
=> La personne doit être crédible, proche de nous pour qu'on ai envie de l'aider

Intracos
Les Masques se retrouvent dans une situation et doivent réagir sans avoir tous les éléments. C'est une phase d'immersion, mystérieuse et banale : tout est normal sauf un détail." Vous êtes dans une voiture sur la route, en ballade, c'est l'été, il fait beau et chaud : qui est à la place du mort ?" Les masques testent le monde pour savoir ce qui leur rapporte de la chance et ce qui leur en fait perdre : c'est le début de la compréhension du monde. L'impact sur le monde est faible, l'Omphalos, le Patient tel qu'il s'imagine dans son univers mental , est loin.

Arrivent ensuite des lieux et des évènements qui permettent de se rapprocher de l'Omphalos. Le But des Masques est de s'en rapprocher le plus possible car c'est là où est l'Omphalos qu'est le problème et là qu'il a le plus de chance de se résoudre. On peut croiser des croyances, des pulsions, des peurs personnifiées, localisée ou matérialisées dans un objet, qui pourront être utilisées ultérieurement. La situation est onirique ou cauchemardesque, mais c'est le quotidien de ce monde. C'est l'exploration des rouages du monde. Ma forme préférée est de permettre aux Masques de rencontrer physiquement une personne qui symbolise une force et d'établir une relation, amicale ou conflictuelle, suivant les convictions profondes de chacun.
=> c'est l'occasion de montrer sa personnalité profonde, ses convictions.

Les masques croisent l'Omphalos, plutôt en mode discret, les derniers indices sont mis à disposition et la révélation du problème doit suivre.

Maintenant, c'est aux joueurs d'agir : il doivent bien s'assurer d'avoir compris le problème et trouver un plan pour y mettre fin : que faut il faire croire à l'Omphalos, lui montrer ou faire disparaître, changer dans le monde pour faire disparaître le problème ? Quel rouage du monde faut il modifier et comment ? Il faut en général un quart d'heure à une heure de brain storming.
=> c'est la phase résolution de l'énigme

Le plan est mis en place, l'Omphalos "piégé". Des complications apparaissent, des opportunités, il faut improviser, les Masques sont séparés, les forces en présence s'invitent. La guérison se met en place ainsi que des séquelles. Les Joueurs font agir leur masque, le MJ fait réagir l'Intracos.
=> c'est la phase action, qui doit impliquer tout les joueurs.

Pile au bon moment, la drogue qui maintient les masques dans ce monde cesse de faire effet et on se retrouve dans le Monde réel.

Monde réel : débriefing
Le Patient se réveille et se sent mieux, remercie les Soigneurs et quitte l’hôpital. Le MJ et les joueurs font la liste des séquelles possibles pour le Patient, lance un dé pour savoir comment cette séquelle évolue dans les mois suivants (elle s'amplifie, reste latente ou disparaît). En fonction de ceci, une anecdote parait dans les journaux (par exemple un voisin a eu un accident ou porte plainte contre le Patient). Le Patient poursuit sa vie, plus ou moins heureuse en fonction de la réussite de la mission.
=> la récompense, c'est que le Patient est heureux. le comique c'est que les voisins ou la famille se plaignent un peu.

Les Soigneurs font le bilan de leurs séquelles et de leur évolution (phase d'XP : c'est important pour beaucoup les XP). C'est le moment d'acquérir de nouveaux savoir, objets ou amis.
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par Fabien | L'Alcyon » 07 Fév 2012, 15:05

Salut Daniel et merci pour cette explicitation de ta vision pour ton jeu.

Deux suggestions:
  • Pour la première partie, pour humaniser le patient, ne vaudrait-il pas mieux que les personnages puisse discuter avec le patient et comprendre directement son problème ? Il ne paraîtra que plus important ainsi.
  • Il existe pas mal de techniques permettant de signifier à tous autour de la table l'avancée de l'histoire. Dans Innommable, c'est l'augmentation de la difficulté et l'arrivée progressive d'événements de plus en plus significatifs. Dans Zombie Cinéma, l'avancée du pion zombie sur le plateau signifie à tous où en est la menace et ce que ça signifie pour le monde. Peut-être qu'un mécanisme proche, relativement subtil, te permettrait de structurer ton histoire, sans avoir à faire appel directement au meneur de jeu. A tester.

Est-ce que notre discussion t'a aidé à avancer vers des nouvelles ? Si c'est le cas, j'aimerais bien voir ce qu'elles donnent concrètement en jeu !
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par chestel » 09 Fév 2012, 22:06

Fabien (Monostatos) a écrit :Pour la première partie, pour humaniser le patient, ne vaudrait-il pas mieux que les personnages puisse discuter avec le patient et comprendre directement son problème ? Il ne paraîtra que plus important ainsi.


c'était comme ça lors des premières parties. le problème, c'est que cette phase a tendance à durer, que le MJ ne doit rien dévoiler sous peine de gâcher le scénario ensuite, donc je l'ai éliminée : le patient dort. Certains MJ l'ont réintroduite et de vieux routards de Chestel me font des suggestions sur le Patient, du genre je suis sûr qui'l vote.. , pratique tel loisir, que sa mère cuisine tel plat. Pour le moment c'est géré à l'intuition, mais je ne désespère pas d'inclure cette phase en option. Si le scéanrio est balbutiant ou pas finalisé, cette phase est très pratique pour générer des idées

Pour le moment, je vais tester une méthode de création de perso et de PJ semblable, sous forme d'emploi de temps : que fais le PJ ou le patient souvent/tous les jours, occasionnellement/ une fois par mois ou par an, rarement et que ne fera il jamais. L'avantage, c'est que les séquelles vont suivant leur intensité se répartir dans une des 4 catégories "naturellement".

Fabien (Monostatos) a écrit :Dans Zombie Cinéma, l'avancée du pion zombie sur le plateau signifie à tous où en est la menace et ce que ça signifie pour le monde. Peut-être qu'un mécanisme proche, relativement subtil, te permettrait de structurer ton histoire, sans avoir à faire appel directement au meneur de jeu. A tester.


excellente idée : je souhaitais limiter dans le temps le scénario pour mettre une pression supplémentaire et c'est un bon moyen. J'ai en tête une image comme les fluctuations énergétiques de plus en plus grandes permettant des transitions orbitales, mais bon il doit être possible (et souhaitable ) de trouver une iconographie plus parlante. Un tunnel avec une lumière au bout ?
En plus de l'image, il faudrait des conséquences visibles : la Némésis plus incarnée et plus puissante, la Chance qui diminue, la Paranoïa du Patient qui croit, etc.
Les joueurs doivent avoir le choix : continuer et risquer d'amplifier les problèmes ou accepter le sacrifice d'un personnage qui joue le rôle de bouc émissaire et sur qui les forces en présence vont décharger leur énergie : sa Némésis sera plus agressive, sa paranoïa personnelle augmente, il devient asocial et sa femme le quitte ou son patron le licencie.
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par Frédéric » 10 Fév 2012, 17:27

Je soutiens tout à fait la proposition de Fabien en ce qui concerne le fait de marquer de manière consciente pour les participants, la progression de la tâche des PJ (et aussi ton idée, Daniel, que les joueurs puissent décider d'abandonner si les risques deviennent trop importants).

C'est typiquement le genre de choses qui auraient permis à notre partie de fonctionner bien mieux : comme je l'expliquais, on ne savait pas top où on allait, on errait de lieu en lieu, rencontrions des choses purement énigmatiques sans savoir que faire pour trouver une issue.

En marquant la progression, tu as de forte chances que les joueurs comprennent mieux comment atteindre leur but et donc aillent de l'avant plutôt que de rester dans l'expectative. Ce risque de ne pas savoir que faire n'est pas présent dans toutes les parties de La Méthode du Docteur Chestel, il dépend d'un grand nombre de facteurs. Une technique du type que propose Fabien permettrait de l'éviter presque à coup sûr :

Même si les moyens d'atteindre leur but sont parfois peu clairs, le fait que la progression soit indiquée crée un témoin qui permet de savoir quand on progresse effectivement. Dans Innommable et Zombie Cinema, ça marche du tonnerre. Ce genre de "méta-jeu" permet à tout le monde de libérer un peu son esprit pour se concentrer sur les situations fictives, ce qui est vraiment important, plutôt que de se demander "qu'est-ce que je dois faire" au point que ça bouffe ce qui devrait être plus important.

***

Pour ce qui est d'humaniser le patient, je pense qu'il suffit que les drames de sa vie soient plus évidents pour les joueurs ; en les découvrant pendant la partie, bien sûr, mais de préférence de manière franche et claire plutôt qu'en leur servant énigmes sur énigmes ; c'est la différence entre une révélation floue, énigmatique, et une révélation qui, sans tout expliquer de l'intrigue, clarifie un point important sans équivoque ; une histoire ne peut pas se satisfaire de succession de questions, il faut aussi des réponses et c'est ce qui nous a le plus manqué ; enfin, je pense qu'il faut que ces "drames" soient au cœur des enjeux que vont rencontrer les joueurs : avoir accès à une révélation demande de surmonter une épreuve, permettre de soigner un problème du patient demande de risquer quelque chose de personnel (du soignant ou du patient) etc.
Je crois que clarifier les enjeux (épreuves, conflits, révélations etc.) pendant la partie en permettant aux joueurs de rapidement comprendre ce qu'ils peuvent faire pour atteindre leurs buts permettra d'arranger à coup sûr la majorité des problèmes que je décris dans mon compte-rendu.

***

Attention, qu'on se comprenne bien, tout ce que j'ai dit jusqu'à présent dans ce fil de discussion vise à permettre à d'autres MJ d'avoir un outil suffisamment sûr pour pouvoir proposer des parties fiables et fonctionnelles plus facilement. Je ne m'aventurerais pas à dire qu'il faut changer ta manière de jouer, Daniel. Dans de nombreux cas, les tables qui tournent bien y parviennent par la force de l'habitude qu'ont les participants à jouer ensemble. Je suis partisan de jeux qui permettent de faciliter les parties fonctionnelles mais à des tables où cette habitude de "jouer ensemble" n'est pas encore acquise.
Tout ce que je dis n'est donc à prendre en compte que si cette approche t'intéresse. Nul doute qu'un MJ qui aura acquis les techniques adéquates avec des joueurs ayant également développé les techniques de jeu adaptées entre-eux sauront faire de bonnes parties de ton jeu. Je pense que j'aurais dû être plus clair sur ce point dès le début.
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par chestel » 22 Fév 2012, 18:24

Frédéric,ton intervention, bien épaulée par Fabien, m'a fait faire un progrès décisif sur la création de personnage http://www.pandapirate.net/casus/viewto ... 26&t=19668 et peut être la représentation
http://www.pandapirate.net/casus/viewto ... 4&start=30

Tu as soulevé d'autres points très intéressants que je souhaiterai approfondir, en particulier le point de crédibilité.
"Concernant les points sur la crédibilité, je pense que ce n'est pas une chose avec laquelle on peut transiger, car ça peut abîmer l'implication des joueurs. Tout JDR a besoin d'une bonne crédibilité, quel qu'il soit (ce qui n'a absolument rien à voir avec le « réalisme »). Il y a de bons moyens de garantir une bonne crédibilité aux parties, si ça t'intéresse, je peux développer ce point."
Qu'entends tu par crédibilité ? Cette question m'a perturbé, en relisant, il m'a semblé que ce n'est pas le fait de s'y croire (réalisme), plutôt la logique du jeu, d'avoir un mécanisme que l'on peut contrôler, par la narration, l'optimisation situationnisme ou via un lancer de dés. est ce ça ?
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par Fabien | L'Alcyon » 22 Fév 2012, 22:01

Excellent ! Content d'avoir pu y contribuer. Je laisse Fred répondre sur la question de la crédibilité, il est meilleur que moi.
A quand un rapport de partie pour voir ce que ça donne en « vrai » ?
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Re: La méthode du docteur Chestel – critique

Message par Frédéric » 24 Fév 2012, 13:32

Je suis content que notre discussion t'ait été utile. :)

C'est une très bonne question, ce que j'entends par "crédibilité", je te remercie de la poser ici.
La définition donnée sur le provisional glossary est très large : http://indie-rpgs.com/_articles/glossary.html
Credibility

The degree to which a given statement is adopted into the imaginary events of play, with or without reference to rules. A feature of the Lumpley Principle. Credibility may be applied to the statement (imaginary event) itself or to the person who supplies it; see also Authority.


Je vais donc m'en tenir à ce que ça implique, pour moi, dans ce sujet.
Si je pars du départ, l'écrivain Samuel Taylor Coleridge a nommé suspension consentie d'incrédulité le phénomène qui lie un lecteur ou spectateur à une œuvre de fiction.
Le fait donc de faire "comme si", ce qui se passe dans la fiction était réel.

Mais le contrat implique une condition : ce que l'auteur me donne doit être crédible, sans quoi ma suspension d'incrédulité ne tient plus.
Une fiction est crédible si je ne relève pas d'incohérence par rapport au contexte, à l'histoire elle-même et aussi au canon en construction dans une partie de JDR.

En effet, les participants construisent ensemble le canon de la partie : tous les codes d'ambiance, de couleur, d'esthétique, de genre éventuellement, auquel les participants vont se conformer.
Il est important de faire en sorte que les participants, surtout si les joueurs ont un pouvoir important sur l'histoire ou l'univers, soient en phase les uns avec les autres. Il y a de nombreuses manières de permettre cela : le don de dés d'offrande dans Prosopopée aide les joueurs à homogénéiser leur canon pour chaque partie jouée ; dans de nombreux jeux, la description ou la construction commune préalable de l'univers permet à tout le monde de s'imprégner du canon avant de jouer la partie.

Le canon est avant tout une affaire de groupe, de personnes et de culture. A titre d'exemple extrême, pour les grecs de l'antiquité ou pour Molière, les deus ex machina étaient crédibles, car pour eux Dieu ou les dieux étaient présents en toutes choses, contrairement à notre société imprégnée de science et de rationalité. Ce serait sans doute difficile de faire une partie de JDR avec à la même table, Platon et Hitchcock.

Un problème peut arriver quand les participants à table n'arrivent pas à harmoniser leurs attentes ou quand ils considèrent avoir été induits en erreur. Par exemple quand on pense jouer une histoire de héros et que les PJ s'avèrent être des minables ridicules.
Ça, c'est l'un des premiers problèmes de crédibilité que j'ai éprouvé dans notre partie de LMdDC. Il est généralement lié au fait que le MJ contrôle l'histoire parfois aux dépens des joueurs (ce qu'on appelle le "passage en force" : quand le MJ impose un événement en dépit des choix des joueurs ou de leurs actes ; ou encore, quand il prévoit une situation imposant aux PJ des choix tacites qui ne conviennent pas aux joueurs ; je peux développer ces points s'ils t'intéressent) mais c'est aussi souvent lié aussi au système de résolution qui permet de jeter des dés pour des enjeux anodins avec des conséquences disproportionnées ou ridicules.
Dans LMdDC, ce n'est pas tant que je croyais que mon PJ était héroïque, mais plutôt que je ne pensais pas qu'il serait aussi ridicule. Si j'avais pu, j'aurais aimé l'éviter.

Le dernier point, c'est au sujet de l'humour, qui rejoint la question du canon :
Je pense que l'humour en JDR comme ailleurs gagne à être un effet secondaire et non un élément constituant d'une fiction. J'en ai parlé un peu ici : viewtopic.php?f=19&t=2587#p21019
Je crois qu'un jeu par son game design peut laisser la porte plus ou moins grande ouverte à l'humour en laissant les joueurs et le MJ en intégrer. L'humour est censé être un phénomène social et surtout il dépend de la culture de chacun. Les blagues de blondes ne me font pas rire, je les trouve misogynes et au ras des pâquerettes. Elles font pourtant rire beaucoup de gens. Si un MJ construit son scénar comme une blague de blondes, je vais m'emmerder.
C'est pourquoi l'humour doit être secondaire. Le jeu doit fonctionner sans s'en préoccuper. Après, selon la manière dont il est conçu, on se rendra compte qu'il est plus ou moins propice à en intégrer.
Un de mes jeux : Rônin laisse une place assez importante à l'humour pour différentes raisons : les PJ sont des crève la faim et ont des caractères assez forts. Mais rien n'oblige la présence de l'humour. Ce sont les gens autour de la table qui vont l'intégrer ou non.

Plusieurs choses dans LMdDC font que l'humour est parfois imposé et ça se répercute dans la partie dont je fais le compte-rendu ici.
Quand nos personnages sont en décalage avec l'univers, quoi qu'ils fassent, s'ils se trouvent stupides et inadaptés, personne n'a de prise là-dessus (ou très faible). C'est un concours de circonstances créé par le jeu en dépit des joueurs. Le système de résolution est également (comme dans 90% des jeux du commerce) du type que j'ai décrit plus haut. Je pourrais te raconter des anecdotes navrantes avec Warhammer, Cthulhu, Vampire, Les Ombres d'Esteren et bien d'autres jeux.

Quand un jeu laisse la porte ouverte à l'humour, les moments sérieux, voire tragiques deviennent possibles également. Quand il l'impose, l'humour peut parasiter tout le reste.

***

On a parlé de beaucoup de choses très consistantes ! Je réponds aux questions, bien sûr.

Je pense qu'on gagnerait à approfondir chaque point qui le mérite dans de nouveaux rapports de partie ou de playtest.
J'attends avec beaucoup d'intérêt un nouveau rapport de test de la nouvelle version de ton jeu. ;)
Frédéric
 
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