"Conspirations" en mode textuel asynchrone

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Re: "Conspirations" en mode textuel asynchrone

Message par Frédéric » 04 Sep 2010, 00:41

Hello cher voisin Niortais !
Tu soulèves des choses qui m'intéressent au plus haut point.

Pour commencer, je prendrais l'exemple d'œdipe et de la destinée. Sens m'a fait penser à ça récemment : En JDR à des degrés variés, on peut construire nos parties en faisant en sorte que le MJ soit un dieu maître de la destinée des PJ, ou laisser les joueurs faire les choix et l'histoire.Ce qui est cool, c'est que d'un point de vue métaphysique, les deux fonctionnent. Et comme on est en plein dans une thématique de Sens, qui défend partiellement l'idée que l'homme est déterminé, laisser une marge de manœuvre aux joueurs tout en déterminant les étapes obligées de leurs aventures est une très bonne façon de défendre un point de vue philosophique sur la question.


Les exemples que je vais donner à présent sont tirés de mes jeux, pour la simple et bonne raison que je sais pourquoi j'ai fait mes choix et ce que ça apporte, mais je tiens à signaler que la plupart des choses que je rapporte sont puisées dans d'autres jeux.

Pour ma part, j'apprécie avant tout de grands espaces de liberté (je préfère dire "espaces de créativité") en tant que joueur comme en tant que MJ pour moi et mes joueurs. Dans Prosopopée, il n'y a pas de scénar et pas de MJ, ou du moins, tous les joueurs ont une sorte de rôle de MJ un peu particulier. Les joueurs contrôlent presque tout : univers, PJ, PNJ etc. Mais Ils sont déterminés par deux choses : ils doivent résoudre les "déséquilibres" du monde et ces déséquilibres dérobent la liberté des joueurs au sujet des éléments désignés (en gros, un joueur prend un dé, le pose sur le plateau et note ce qui est rattaché au déséquilibre). Ce qui signifie que les actes des joueurs seront orientés pour mener une quête et la mener à son terme. Pour résoudre un déséquilibre, il faut lancer les dés et obtenir le bon nombre de succès, quand c'est le cas, les joueurs reprennent le contrôle de l'élément verrouillé par le déséquilibre.
Par exemple, les PJ traversent les champs en charrette et une tempête s'abat sur eux. ils voient des crues, hop, un joueur pose un dé sur le plateau en décidant qu'il concerne la crue de la rivière. Il le note brièvement et les joueurs ne pourront pas enrayer les crues s'il ne lancent pas les dés. Quand ils ont lancé les dés et obtenu un succès, ils peuvent raconter alors comment le problème est résolu et décider des conséquences des crues...
La plupart des idées de Prosopopée me viennent de Zombie Cinema de Eero Tuovinen, In a Wicked Age de Vincent Baker, Polaris de Ben Lehman et Breaking the Ice de Emily Care Boss.

D'un autre côté, un autre de mes jeux : Démiurges, est d'une structure plus classique. Le MJ est cependant un joueur de basse qui prévoit malgré tout les révélations d'une intrigue et quelques détails à l'avance.
Le MJ a le contrôle sur le monde et les PNJ, les joueurs sur leurs personnages ET ce qu'ils ont créé ou modifié, notamment grâce à leurs pouvoirs "freeform".
Donc, un alchimiste crée un château, il pourra révéler à ceux qui y pénètreront tout ce qu'il s'y trouve et de quoi il a l'air.
Chose importante : il y a une infraction règlementaire à ces règles : faire un conflit (lancer les dés).
Si j'arrive à gagner un conflit contre un PNJ, j'ai le droit d'apporter des modifications à sa fiche et de raconter les conséquences du-dit conflit sur sa réaction, ses pensées, ses blessures etc.
La plupart des idées de Démiurges sont tirées de Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, Innommable de Christoph Boeckle et The Pool de James V. West

Un autre exemple : dans Psychodrame, pas de MJ non plus, les joueurs créent tour à tour une situation dans laquelle il doivent décrire
- où ça se passe
- qui est là
- ce qu'il se passe
Puis chacun se contente de jouer son personnage avec une vraie liberté sur le décor, mais pas centrale au jeu.
Les conflits rythment la partie et permettent d'établir des conséquences aux conflits, ce qui fait généralement bien avancer l'histoire. D'ailleurs, il y a de fortes chances pour que ce soit un autre joueur qui décide des conséquences psychologiques que reçoit ton personnage.
Références : une bonne partie des jeux cités précédemment.

Tout ça pour en venir où ?
Il y a de nombreuses façons de générer des espaces de créativité pour les joueurs, mais ils doivent être mis en opposition avec des contraintes :
- Pour Prosopopée, il s'agit des déséquilibrent qui spolient la liberté de narration des joueurs, ce qui crée une résistance du monde.
- Pour Démiurges, les joueurs doivent s'approprier et transformer des choses pour pouvoir les contrôler et gagner des conflits pour avoir une influence sur les PNJ et le monde.
- Pour Psychodrame, les joueurs créent une situation sans savoir où ça va mener et laissent les personnages interagir pour faire évoluer positivement ou faire dégénérer la situation à leur avantage ou non. Les conflits permettent de forcer les opposants à nous permettre d'obtenir ce qu'on veut (que ce soit des choses vénales et égocentriques ou de l'altruisme et de la générosité) et de générer des conséquences dynamiques aux actes accomplis.


Au sujet du message de ton joueur :
Alors en effet, cette distinction entre "récit partagé" et "JDR traditionnel" est courante, surtout pour les rôlistes routards. Je ne pense pas qu'elle tienne surtout à une distinction entre pratique classique et pratique alternative, car beaucoup de tablées qui jouent à des jeux classiques s'octroient ou s'offrent souvent assez spontanément des espaces de créativité considérables. J'ai même vu à une de mes tables en tant que MJ, un joueur prendre un crayon et dessiner le plan de l'appartement parisien de son personnage dont on n'avait pas entendu parler avant. J'étais surpris à l'époque, mais c'était cool. Je ne vois pas l'intérêt de m'arroger ce droit.
De ma spéculation personnelle, ça ne tiendrait qu'à une distinction claire : est-ce que je veux contrôler la destinée/le monde autour de mon personnage ou est-ce que je veux que ce soit le MJ qui le fasse ?
En effet, réduire les espaces de créativité tend à donner au joueur une "immersion" humanisante, alors que le contraire donne une "immersion" divine ou d'auteur (qui crée les conditions des actes de son PJ, les confrontent aux autres dieux ou auteurs à la table et justifient après coup les raisons des actions de son personnage).

Mais tout un dégradé est possible entre ces deux pôles. Depuis que j'ai découvert des jeux à grands espaces de créativité, j'ai tendance à m'ennuyer dans les jeux où nos seuls choix sont : "couloir de droite", "porte de gauche" ou "je frappe avec mon épée"...

Concernant l'amalgame entre JDR à très grands espaces de créativité et "récit partagé", il faut garder à l'esprit que deux choses permettent de distinguer ces deux activités :
  • Dans le JDR, les joueurs (MJ compris) sont propriétaires de certaines choses de la fiction : par exemple les joueurs sur leurs personnages, le MJ sur le monde (parfois partiellement comme on l'a vu plus haut), ce qui n'est généralement pas le cas dans les récits partagés où chacun peut faire ce qu'il veut de tout.
  • Dans le JDR, les joueurs ne peuvent pas mener la totalité de leurs choix à terme sans se heurter à une résistance : pas sûr de tuer l'ennemi, il faut lancer les dés. Pas sûr de convaincre la reine, il faut comparer les scores "sociaux" du PJ et du PNJ, ou convaincre l'autre joueur etc.
Ces deux paramètres sont la condition de "l'immersion". Ainsi, Prosopopée par exemple est une expérience très différente des parties traditionnelles de Vampires la Mascarade. Certains n'aimeront pas comme certains préfèreront Prosopopée à Vampires.
La difficulté majeure concernant la grande liberté des joueurs, c'est qu'elle ne peut pas être totale, sans quoi ça risque d'être insipide et déroutant. Il faut donc l'encadrer avec finesse pour donner une inclination à la partie jouée, soulever des thématiques, célébrer un univers de manière créative, relever des défis avec son cerveau et ses cojones.

Concernant le fait qu'un joueur n'apprécie pas forcément ce que tu proposes comme espaces de créativité, la question est délicate. Je suis toujours un peu sidéré de voir que beaucoup de rôlistes chérissent une habitude de jeu avec une paranoïa frénétique envers toute nouveauté. Que j'impute à une vraie superstition autour de ce qui fait une bonne ou une mauvaise partie. J'essaye depuis peu de ne pas proposer des parties longues ou campagnes de jeux un peu expérimentaux si je ne suis pas sûr que ça va coller avec mes joueurs. Les one-shots font de meilleurs dépucelages. :)

Mais si ça peut t'enthousiasmer autant que moi, j'ai eu à plusieurs reprises des commentaires de rôlistes après des parties de certains de mes jeux ou d'Innommable, me disant que "rejouer à des jeux classiques après ça risquait de paraître fade".

***

Si certaines de mes phrases sont obscures, n'hésite pas à me poser des questions, on tend à utiliser un jargon partagé ici et je ne me rends pas toujours compte de ce qui est hermétique.
Frédéric
 
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