Bien, je m'attaque à ce que tu soulèves !
Alors, telles quelles, ces tables ne donnent que 3 informations :
Le niveau de l'arcane/les limites et qualités des pouvoirs/le coût lorsqu'on veut évoluer avec l'xp
La créativité est toujours liée à une forme de contrainte : un jeu où tu as les pleins pouvoirs sera chiant et la qualité des propositions risque d'être très limitée.
La contrainte, si elle est un cadre, stimule la créativité. Je dis bien si elle est un cadre, c'est à dire qu'elle offre un "champ", un "espace". Une contrainte qui ne donne qu'une ligne (comme dans certains jeux, où il n'y a qu'un choix valable dans une situation donnée) est pour moi à proscrire.
Les pouvoirs de Démiurges sont un cadre, puisqu'ils ne donnent que des contraintes de taille et de poids, ou de surface d'effet ou de durée et de nature du matériau utilisable. Tout est possible dans ces champs balisés.
Dans Prosopopée, le cadre, c'est à la fois les bases du monde présentées dans le texte du jeu, les couleurs et les médiations, mais aussi ce que les autres joueurs seront prêts à récompenser, donc au final un alignement avec les désirs de fiction des autres joueurs pour parvenir à les séduire.
Histoire de Poche, par exemple souffre de l'absence de cadre. Les parties partent dans tous les sens, les histoires ne sont pas tellement crédibles au final. mais peu importe, je ne l'ai pas fait pour la crédibilité.
La question de la marge n'est pas vraiment une gêne pour moi : si je crée un tigre de 100 kg, ben ce sera un petit tigre. Il ne rivalisera pas avec ses frères de 300kg, mais ce sera un tigre quand même.
Si mon épée est trop courte, ce sera une épée courte. (note : Je pourrai donner ces précisions dans le bouquin).
Pourquoi ais-je conservé ces tables (car bien entendu, j'ai envisagé laisser davantage la gestion de la magie intuitive, sans limites numériques) ? D'autant plus que d'un point de vue modélisation, il faut le dire, c'est naze : qui décide arbitrairement que tant de matière végétale équivaut à tant de matière animale ? Mes raisons sont le gameplay, le gameplay et le gameplay :
La quête de pouvoir est importante dans Démiurges. L'évolution de l'emprise du personnage sur le monde via ses pouvoirs lui donne de plus en plus de liberté et de responsabilités.
La part d'imagination et de créativité est la base du jeu : j'ai créé Démiurges suite à une analogie faite en cours par mon prof de culture générale entre le démiurge et l'artiste.
Sans cette liberté créative, cette analogie, fondamentale pour ce jeu, s'effondre. Car les joueurs de Démiurges sont des artistes (au sens galvaudé de "créateurs").
Il y a deux manières de gérer des différences de puissance en magie freeform (d'autres sont sans doute possibles, mais je reste dans cette optique de gain de puissance qui rime avec gain de liberté) :
- Le joueur propose librement, le MJ évalue la puissance et impose une difficulté relative.
- Les niveaux de puissance sont balisés, le joueur sait quelles sont les limites, il doit les considérer pour pouvoir effectuer son pouvoir.
Dans Bienvenue à Poudlard, j'ai opté pour la première solution, dans Démiurges, j'ai opté pour la seconde.
Ce qui au départ demande un temps d'adaptation devient un outil exaltant, car dans la limite de taille/poids, on peut tout faire : transmuter une cuillère en couteau, un couteau en tire-bouchon, une plante en pain, un bras en épée organique, une dalle en eau, un mur en éthanol, Christoph me disait : "est-ce que je peux transmuter mon bras en calmar géant ?" et ben oui, c'est possible (à condition de respecter le principe d'équivalence, pompé sur Fullmetal alchemist, mais bien pratique ^^)...
Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que Démiurges a une proposition créative simulationniste. Et cette proposition est orientée vers la conception du monde à travers les yeux d'êtres capables de comprendre intuitivement les phénomènes chaotiques.
Ces tables offrent un véritable outil de relation au monde, car ces arcanes sont la structure du monde. Le joueur qui devient un arithmancien qui contrôle la lumière va réfléchir chaque scène en fonction de la lumière, des phénomènes qu'il contrôle, de sa distance d'action. La démarche créative soutenue par le jeu, c'est ce filtre, cette nouvelle perception du monde et des perspectives qu'elle engendre, grâce aux pouvoirs.
Souvent les joueurs débutants me posent des questions : "ais-je le droit de faire ça ?"
Après une partie, ils ont assimilé les principes et rapidement, ils prennent en main leurs pouvoirs.
Le fait de construire ses pouvoirs sur ces contraintes numériques permet aux joueurs de narrer le résultat de leurs actions, y compris quand il s'agit de leurs pouvoirs, car ils l'ont conçu à partir de contraintes et donc ils pourront broder, ils savent où se trouve la limite.
Le simulationnisme est également appelé le "déni constructif", cela signifie qu'on rejète ce qui ne rentre pas dans le canon (l'esthétique au sens large de la fiction). Et qu'on utilise justement la contrainte pour délimiter ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas, au point que certains jeux soutenant des parties dans ce mode, surtout des jeux historiques ne fonctionnent que sur une batterie de contraintes : un samouraï ne tourne pas le dos, un pirate doit agir comme ceci, un chevalier n'a pas le droit de cela... Dans ces cas-là, c'est à mon sens contraire à l'idée d'espaces de créativité, il s'agit simplement de lignes de conduite à avoir. Parfois même les MJ vont piéger les joueurs qui devraient connaître les contraintes et pour ceux qui ne sont pas assez dans les clous, hop, sanction !
Je déteste ce genre de jeux, je le dis clairement.
Autre chose : il est permis, voire incité dans Démiurges à tenter de se surpasser, par une épreuve ou par un sacrifice, ce qui permet à n'importe quel démiurge de tenter des pouvoirs à des niveaux bien supérieurs à ceux qu'il maîtrise.
Ce qui rend le système de table moins rigide.
Et d'une certaine façon, c'est un peu le but du jeu : amener les joueurs à prendre des risques ou à faire des sacrifices. Là encore, ces tables sont un outil qui vont dans ce sens :
"Merde, la situation est désespérée, machin risque de mourir, mais je ne peux pas m'en sortir avec mon niveau d'arcanes... tant pis, je tente le tout pour le tout pour atteindre un niveau supérieur !"
Le joueur élabore lui même ses pouvoirs à partir d'un cadre strict mais très large. Alors que dans le cas du MJ qui établit le niveau de difficulté d'un pouvoir, on se retrouve bien souvent à balancer des idées en l'air en se demandant si le MJ va être cool ou non (à Nobilis, par exemple). Là, le joueur peut lui-même évaluer la
faisabilité de ses pouvoirs et du coup, engager une
prise de risque ou un
sacrifice. Cela devient un choix et tout mon game design est basé sur ce choix.
Quant à la lourdeur du freeform, les listes de sort sont équivalentes en lourdeur, mais sur d'autres aspects : se rappeler des sorts, de leurs effets, faire des combinaisons...
Ici, tu remarqueras que tous les effets sont gérés pareil : le niveau du pouvoir donne un simple multiplicateur au score d'effet (ça a légèrement changé depuis la version de relecture, mais le fond est le même : c'est devenu un simple bonus). Tout est géré pareil, inutile de se référer à des tables, des points de règles spécifiques etc. C'est au contraire bien plus léger à gérer qu'une liste de sort ou généralement chaque sort a des effets spécifiques en fonction des situations qui génèrent des exceptions gnagnagna. Ici, la seule lourdeur, c'est qu'au départ les joueurs doivent assimiler les principes de leurs pouvoirs. Mais quand ils les ont assimilés, ça roule tout seul.
A cela, j'ai aussi réalisé plus tard qu'il était pour moi parfaitement inutile de gérer au niveau d'une magie freeform la cause. Quand je crée des règles c'est pour contraindre les possibilités des joueurs, leur éviter entre autres de devenir des dieux (si c'est pas le sujet du jeu bien entendu). Or qu'il crée 1 bille de métal ou 1 planète, réellement ce qui m'engagera en tant que meneur ou concepteur c'est ce qu'en fera le joueur. Je ne vois en effet pas à quoi celà sert de restreindre un joueur qui veut donner dans le spectaculaire dans ses pouvoirs lorsqu'il s'en sert pour du bénin pour l'histoire. Tuer ? Au oui ça coûte cher ! Se nourrir ? pouah ok c'est bon.
Dans l'absolu, une technique n'est ni bonne ni mauvaise, c'est son rôle dans l'ensemble du système qui nous renseignera sur sa pertinence.
Tu remarqueras justement que les choses anecdotiques dans Démiurges ne sont jamais soumises à épreuve : générer de la nourriture ? C'est juste une dépense de points de pouvoir. Blesser quelqu'un, ça demande une confrontation.
Les PJ sont amenés à devenir des simili-dieux. Il faut donc, pour mener leur quête initiatique qu'ils soient limités avant ça.
Comprends bien que les pouvoirs, tels qu'ils sont permettent au joueur de véritablement les prendre en main et de se focaliser sur cette part créative dans la fiction.
De plus, ils sont justement également balisés dans leurs potentialités par les spécialités des personnages : un chimiste peut décider de produire une explosion avec tout et n'importe quoi, il saura transmuter les bons matériaux, même si le joueur et le MJ ne le savent pas. Est-ce une contrainte ? Non, c'est plutôt une aide en réalité, les joueurs sont plus fertiles quand ils examinent les possibilités du point de vue de leurs métiers, plutôt que dans toute la gamme des possibles (contrainte power).
Les PJ vont se positionner dans les canevas, ils vont choisir leurs alliés et leurs ennemis (voir ce thread :
http://www.silentdrift.net/forum/viewtopic.php?f=3&t=1698), ça, c'est un espace de créativité que le système de canevas autorise (on peut s'allier avec nos ennemis quand bon nous semble, ça ne fout pas en l'air le canevas).
Toute confrontation peut être résolue par n'importe quel moyen : la parole, les armes, l'intimidation, les pouvoirs (et chacune des possibilités précédant peuvent être reportées sur les pouvoirs). Donc, on évite le schéma du beau parleur qui ne sert que dans les scènes sociales, le bourrin qui ne sert que pendant les bastons et l'investigateur pour les scènes d'enquête (bien que les psychomètres sont toujours des catalyseurs d'enquêtes, ces moments ne sont justement pas des défis dans le jeu, ça avancera quoi qu'il arrive si les joueurs veulent avancer, c'est pourquoi il n'y a jamais d'épreuve de perception hors confrontation).
Autre chose, pense que c'est le joueur qui narre le résultat de ses actions (hop, encore un espace de créativité).
Les créations des joueurs leur appartiennent, s'ils créent un monde, ils en seront en quelques sortes les MJ (à peu de choses près).
Par contre si je m'attaque à la magie : bam ! j'ai droit à des mesures extrêmement précises. Si mon effet était évalué à un kilo de plus près, potentiellement je n'aurais pas assez d'énergie pour le lancer. Ben c'est dommage ça car mon effet je l'avais bien pensé, qu'il est utile à l'histoire et qu'il ne va pas priver de jeu les autres joueurs ni détruire le scénar/canevas de mon meneur.
Je n'ai jamais eu ce cas de figure, car le joueur a quatre options : il reconsidère son pouvoir au rabais (c'est plutôt facile), il tente de se surpasser ou il fait un sacrifice ou encore, il cherche une autre solution (ce qui se produit dans toute partie de JDR).
Ce n'est pas une limite dure et infranchissable, c'est seulement une balise qui détermine où se situe le seuil de mise en difficulté du personnage.
Donc, cette graduation de la magie amène le joueur à conceptualiser la fiction et les actions de son personnage par cet intermédiaire en tant que filtre et d'expérience, ça soutient une proposition créative simulationniste très puissante. SI je fais un jour une version narrativiste de Démiurges, je gèrerai les pouvoirs tout à fait différemment.
Maintenant, si tu as des propositions meilleures, et qui possèdent tous les avantages que j'ai décrits, je suis preneur (surtout si tu m'en fais un rapport de partie). ;)
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Je n'ai pas été aussi clair que je l'aurais voulu, mais bon, on est sur un forum...
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Edit : j'ai édité plusieurs passages du message, j'ai pas assez relu avant de publier, désolé...