Prosopopée, pour une démarche Sim ?

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Prosopopée, pour une démarche Sim ?

Message par Meta » 17 Jan 2009, 02:20

Voilà. Je demande à Fred de se justifier, de dire en quoi Prosopopée est une démarche Sim, puis, ensuite, de justifier son choix.
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Message par Frédéric » 17 Jan 2009, 02:32

Ok ! C'est parti !

La particularité de ce jeu est qu'il y a une grande liberté narrative dévolue à tous les joueurs, qui sont en fait tous des joueurs-MJ.

Je commence soft : qu'est-ce qui fait que Prosopopée est simulationniste malgré le fait qu'en créant l'histoire de façon dynamique et collaborative on pourrait penser qu'on est en plein dans du narrativisme ("story now" est le mot d'ordre du narrativisme) ?

Et bien parce qu'en réalité, les deux rapports de partie le montrent assez bien, il y a un certain nombre d'éléments dans le game design qui tendent à reléguer les principes dramaturgiques loin au second plan.

Au final, ce sur quoi se focalisent les joueurs, c'est l'esthétique de la fiction et non les ressorts narratifs et les jugements de valeur moraux (bien qu'ils n'en soient pas absent, on parle de "focalisation, je vous le rappelle").
L'aspect "contemplatif" de ce jeu fait qu'au final, il est plus important d'avoir découvert un "monstre qui se prend pour une rivière et qui gèle la nappe phréatique". Et non le fait qu'un personnage ait des problèmes avec sa femme qu'il doit résoudre (Encore une fois, c'est une question de "qu'est-ce qui est au coeur de la partie et qu'est-ce qui y est important et porteur de plaisir").

Ainsi, pendant la partie, les joueurs font des sourires quand les éléments décrits leurs plaisent, ce qui est un témoignage de la démarche créative à l'ouvre. Le système appuie cela en proposant de manifester ce moment de plaisir/approbation en récompensant par un dé.

Je suis prêt à creuser autant que tu (vous) voudra (ez).
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Message par Meta » 17 Jan 2009, 02:35

Ok, je comprends.

Juste une remarque :

Si les joueurs aiment ce qui est créé est sourient, ne risque-t-on pas d'avoir des choix qui se font en fonction des goûts du joueur (tiens, j'ai décrit une fleur parce que c'est joli) ?
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Message par Frédéric » 17 Jan 2009, 02:45

Si bien sûr et c'est une mécanique courante en mode sim :
Le groupe construit un canon, tout le monde veut apporter sa pierre à l'édifice, mais il y a des limites à ne pas franchir pour rester dans ce canon. On parle parfois de cohérence, d'esthétique ou parfois de réalisme (mais ce n'est vraiment pas une nécessité sim, la preuve : Prosopopée).

Donc, souvent, dans un jeu sim, on va avoir tendance consciemment ou pas, à tenter de faire des propositions qui vont plaire à l'ensemble du groupe, car s'ils ont choisi de jouer ce jeu, c'est parce qu'il leur plait, les inspire, ils ont envie de se plonger dans cette fiction et de construire un "rêve". "the right to dream" est le mot d'ordre simulationniste.

Pour que tout le monde puisse rêver, il faut créer dans ce canon. Mais si on parle de conte de fées type contes de Grimm, les joueurs risquent de faire la grimace si un joueur sort un bazooka. Tout ne sera pas élégant, tout ne sera pas en phase avec le canon. C'est le "déni constructif" ("constructive denial") : ce qui ne fait pas partie de mon canon me permet de définir mon canon.

Donc, dans Prosopopée, je ne décris d'abord quelque chose parce que ça me plait, mais surtout parce que je pense que ça va plaire aux autres. Si je n'ai aucun dé de récompense, je chercherai peut être à coller plus à ce que les autres racontent et qui en confèrent, ou au contraire, chercher à les surprendre agréablement avec du neuf !
C'est ainsi que l'on éprouve "l'élasticité" du canon dans ce jeu : qu'est-ce que je peux y intégrer qui reste dans le canon, tout en flirtant avec ses limites.
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Message par Antoine » 18 Jan 2009, 21:52

Salut,


Question bonus : en quoi le système de jeu favorise-t-il cette approche ?


Antoine, Nobody expects the Spanish inquisition !!! ;)
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Message par Frédéric » 19 Jan 2009, 00:24

Cette question est en plein dans l'intérêt de ma proposition de discuter GNS à partir de mes jeux, elle est donc parfaitement la bienvenue !

Tout d'abord, j'entends par "système" : "un moyen par lequel on détermine le déroulement des événements dans le jeu" (Ron Edwards)

Donc, l'articulation des moments de parole, la détermination des autorités etc. font partie pour moi du système.

Prosopopée définit une couleur, un univers, des personnages assez malléables et propose aux joueurs de se concentrer sur la fiction.
Comment ?
- Parce que les espaces de créativité sont suffisamment larges pour que chacun ajoute sa pierre à l'exploration (explorer = faire des propositions, des choix, créer des éléments de fiction. L'exploration est indissociable du JDR quel que soit le mode GNS ou même hors GNS) et à la création en temps réel du monde, des situations et de leur résolution.

- Les dés de récompense doivent être donnés quand un joueur "aime ce que dit un autre". Ce qui signifie : séduisez les autres joueurs par le contenu de ce que vous narrez et décrivez, ce qui est selon moi l'une des principales transactions simulationnistes entre joueurs (et non entre personnages).

- Ces transactions par dés peuvent se faire de façon parfaitement silencieuse, ce qui évite de rompre la fiction, c'est quelque chose qui aide à la cohésion sim.

- Les techniques de résolution centrent les joueurs dans les "phases de narration" sur l'esthétique de la fiction et non sur la dimension dramatique. Pourquoi ? Parce que les choix dévolus aux joueurs sont centrés sur la fiction (qui est une construction imaginaire qui pourrait être fixe) : quelle substance vais-je guérir, par quel moyen ? Qu'est ce qui sera le plus "beau" ? plutôt que sur la narration (qui est la temporalité de cette fiction) ou la dramaturgie (la structure émotionnante des échanges entre les composantes de la fiction).
Narration et dramaturgie sont présents, mais au second plan, ils ne constituent pas le point de focalisation des joueurs.
A noter qu'avec Prosopopée, je pense être allé loin dans le désamorçage de la dramaturgie pour en faire un jeu contemplatif. Mais bien souvent, les jeux à tendance plus ou moins réussie vers le simulationnisme tendent à des techniques de jeu peu intéressantes d'un point de vue dramatique et narratif (compétences, avantages/désavantages, choix tactiques...).

Quelqu'un qui voudrait relever des défis dans Prosopopée serait extrêmement frustré, car rien ne récompense cette attitude et les techniques de jeu en stimulent d'autres (d'attitudes).
Quelqu'un qui voudrait jouer la dramaturgie à fond se retrouverait avec le même problème, car il est incité à décrire des éléments de fiction pour être récompensé par les autres plus qu'à dresser des situations riches en potentiel dramatique, et les résolutions ne constituent pas des choix dramatiques porteurs de jugement moral, car l'adversité dans ce jeu est extrêmement diluée.
L'adversité est sans doute l'un des axes primordiaux du ludisme et du narrativisme, mais en simulationnisme, on peut l'anesthésier. Or dans Prosopopée, n'importe quel joueur peut proposer de valider la proposition d'un autre joueur comme étant un problème à résoudre. Chacun participe donc à la composition des éléments d'adversité, c'est collaboratif, mais pas consensuel (ça se vérifie pendant les parties). Et ça consolide la nécessité de "séduire" les autres joueurs.
On pourrait jouer à Prosopopée en décrivant un voyage où il n'arrive jamais aucun problème. Mais bon, personnellement, ça me gonflerait, donc j'ai quand même proposé des mécaniques qui visent à intégrer des problèmes et à les résoudre.

- Enfin, la façon dont les caractéristiques des PJ structurent le jeu est essentiel : il s'agit de "Médiations avec le monde" qui sont dépendantes des "Substances" du monde, autrement dit la structure cosmologique de celui-ci. Ces caractéristiques amènent à faire parler les arbres, à décrire les émotions du vent, à donner des intentions à un caillou... Et le jeu focalise les joueurs là dessus.

Et tout ça, c'est super important dans ce jeu et dans l'appropriation de la fiction qu'en font les joueurs.
Enfin, la présentation du jeu et les conseils mettent l'accent sur l'esthétique, et cela joue un rôle non négligeable.

Tout cela cumulé produit une attitude simple : les joueurs cherchent ensemble à construire une belle fiction, un bel univers, de beaux personnages, de belles situations... C'est "the right to dream" à fond.

Je veux bien approfondir n'importe quel point.
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Message par Antoine » 21 Jan 2009, 02:24

salut,

J'ai lu avec intérêt Prosopopée et les rapports de partie, et je suis assez impressionné par ce jeu. Il reste encore un peu abstrait pour moi (je reste très roro), mais je ne doute pas qu'il prenne corps durant la partie.

Il m'inspire deux réflexions :
- c'est assez amusant de constater que le simulationnisme vient, en quelque sorte, d'une absence totale de simulation. Le fait de ne laisser quasiment aucun point d'appui au joueur (sauf quelques éléments qui rendent assez bien la "couleur" de l'univers), le plonge de façon radicale dans la contemplation et l'exploration.
Pour le coup, ça ressemble un peu à Hyperhéros: un jdr où les PJ ont des pouvoirs quasi incommensurables. De fait on s'est aperçu très vite qu'il était inutile de décrire un univers en profondeur, étant donné que les PJ étaient capable de le modifier radicalement au cours d'une partie. En pratique, les parties sont essentiellement composées des "si je fais ça, ça donne ça" décrits par les joueurs. HH a par contre un côté plus exploratoire des conséquences des actes des PJ (donc tout de même moins contemplatif), car le thème en est "Pouvoirs et Responsabilités".

- Je constate qu'avec un jeu purement simulationniste, on obtient un mode de jeu extrêmement différent de ce que l'on a avec d'autres jeux également très simulationnistes, mais où la prémisse est au contraire renforcée par un système complet qui explicitent les conséquances de tous les éléments importants du jeu. Je pense notamment à Pendragon, où le simu est poussé à tel point que même les évolutions internes du personnage sont règlementées. J'ai l'impression qu'on atteint ici les limites la capacité du LNS à harmoniser les modes de jeu en fonction des prémisses.
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Message par Frédéric » 21 Jan 2009, 03:04

Je suis flatté par ton commentaire sur Prosopopée.
Une version plus aboutie précisant les rôles narratifs et leur articulation est en cours de correction.

***

Dans ce que tu décris, il faut prendre en compte quelque chose :
Toutes les techniques sont potentiellement bonnes pour tous les modes de jeu.
Il existe des jeux narrativistes qui utilisent des compétences (The Shadow of Yesterday, The Riddle of Steel, il me semble), des jeux simulationnistes qui utilisent des traits (je le fais dans Démiurges, par exemple, mais je suis sûr que ça doit se trouver), etc.

Le terme simulationniste est malheureux en français, car il a un lourd héritage du temps de Casus Belli et désigne pour la plupart d'entre nous à l'origine un type de jeu ou de façon de jouer très pointu et techniciste (voire excessivement de manière péjorative).

Or, la démarche créative n'a rien à voir avec l'orientation techniciste, narrative ou ludique d'un système ou plus généralement de la couleur d'un jeu.

J'oserai même dire qu'avec des règles 100% narratives, on n'est pas assuré d'obtenir un jeu qui soutienne efficacement le narrativisme (et pareil pour les autres modes).

C'est la confusion qui règne généralement concernant Wushu. Ses mécaniques narratives font penser à beaucoup de gens que c'est un jeu narrativiste, or, pour les joueurs pour qui enchaîner 5 descriptions (souvent très axées sur l'esthétique de la fiction : c'est souvent l'aspect spectaculaire des actions "hong kongaises des persos qui fait le sel du jeu) sera un défi, les parties de Wushu seront plutôt ludistes et brilleront de l'émulation générale pour faire de la surenchère.
Et pour ceux qui narreront sans en faire un défi, mais pour qui l'esthétique primera et qui seront donc prêts à stopper leur narration plutôt que de la poursuivre artificiellement pour gagner des dés, ceux-là auront de plus grandes chances d'obtenir une démarche simulationniste pendant leurs parties.

Le GNS n'a pas pour vocation de classer les types de techniques des jeux, mais à permettre de créer une démarche créative cohérente*. On ne jouera pas à Prosopopée pour les mêmes raisons qu'à Pendragon et ce qui est beau, c'est justement cette diversité au sein d'un même mode.

Quelqu'un peut adorer jouer à Prosopopée et pas à Pendragon alors qu'ils sont tous les deux simulationnistes.
Quelqu'un peut adorer jouer à Dogs in the Vineyard, mais pas à My Life with Master, alors qu'ils sont tous les deux narrativistes.
Quelqu'un peut adorer jouer à D&D mais pas à VRPg alors qu'ils sont tous les deux ludistes.
De même, un même joueur peut aimer AD&D3.5 (lud) et Dirty Secrets (narr) (Christoph par exemple)

*Je développe ce point : quand une partie de Prosopopée est démarrée, les joueurs auront donc tendance à harmoniser leurs cycles de création/approbation, car l'ensemble du jeu soutient fermement une démarche créative (je rappelle qu'il y a une infinité de démarches créatives possibles dans un même mode) appartenant au mode simulationniste grâce aux espaces de créativité du jeu (qui sont des stimuli) et aux limitations (qu'est-ce qui n'est pas encouragé par le jeu et qu'est-ce qui est plus ou moins "interdit"). C'est là le but principal du GNS (pour créer des jeux, mais aussi pour structurer nos parties quand le jeu ne le fait pas), et non pas comme on pourrait le penser, de produire des jeux qui plaisent à une catégorie de joueur : les simulationnistes ou les ludistes ou les narrativistes.
Vincent baker dit : le GNS ne cloisonne pas les jeux, il ouvre le champ des possibles au contraire. Je ne peux qu'approuver, car les 4 jeux que j'ai publié ici n'auraient jamais pu voir le jour sans les jeux forgiens auxquels j'ai joué et qui tirent leurs spécificités de la théorie du forum The Forge (GNS et autres).

***

Autrement, j'aimerai savoir ce que tu entends par "Prémisse", parce que je ne suis pas du tout au clair avec ce terme qui a notamment subi des circonvolutions sur The Forge.
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Message par Christoph » 21 Jan 2009, 12:34

Frédéric, puisque tu me cites, je me permets un rectificatif!
J'ai bien aimé D&D 3, pas joué à la 3.5 et flippe complètement sur la 4.0. Le "A" est tombé au passage à la 3e édition, probablement comme symbole d'une restructuration radicale et salutaire d'un système absurde.

En plus d'aimer D&D, je suis chiant. Où va-t-on?
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Message par Frédéric » 21 Jan 2009, 14:23

=D
Tu as raison, je ne suis qu'un D&D-inculte...

(que veux tu dire par "flipper" ?)
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Message par Christoph » 21 Jan 2009, 16:22

Ah, cet emploi doit être un emprunt au suisse-alémanique si tu ne le connais pas. Ça veut dire "faire une crise d'enthousiasme", plus ou moins.
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Message par Frédéric » 21 Jan 2009, 16:51

Ok, chez nous ça signifie "avoir peur".
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