Clover est un jeu de rôle écrit par Ben Lehman qui nous propose de nous plonger dans l'enfance idyllique d'une petite fille de cinq ans curieuse et pleine de vie dont le prénom est Clover. Clover signifie « trèfle » en anglais, le présent jeu fait référence à un manga du nom de Yotsuba to ! qui raconte également les journées d'une enfant de cinq ans (Yotsuba signifiant « quatre-feuilles » en japonais).
Le livret de jeu est très court et d'un format carré très petit, il se lit donc très vite et se joue tout aussi rapidement. Il n'y a pas d'indication de temps de jeu, mais nous avons joué une petite demi-heure à tout casser.
Le jeu fonctionne sur un procédé simple : un des joueurs est Clover, un autre est son papa. Si l'on joue plus nombreux, les autres sont des personnages secondaires (cousine, amie etc.)
Nous n'étions que Fabien et moi, nous avons donc expérimenté le jeu avec seulement Clover et son papa.
Note : nous avons passé un weekend, Fabien et moi à nous occuper de ma fille qui a deux ans et demi. Autant dire qu'on était tout de suite dans le bain pour jouer à Clover.
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Fabien lance la première situation à la maison : Clover est à sa maison, son papa travaille sur l'ordinateur.
Fred : elle joue avec sa poupée préférée, mais s'ennuie. Elle explique haut et fort à sa poupée qu'elles jouent à s'ennuyer, puis dit à son papa : « papa, on joue à s'ennuyer ma poupée et moi ! »
Fabien : le papa répond : « c'est bien ma chérie ! »
Fred : elle demande à son papa ce qu'elle pourrait faire pour ne plus s'ennuyer ;
Fabien : il lui répond « pourquoi n'irais-tu pas jouer dehors ? » (il s'agit d'une phrase rituelle que le joueur du père doit prononcer afin de déclencher l'aventure).
Fred : je sors et j'observe la rue, où pourrais-je aller ? (le joueur de Clover peut ainsi demander au papa de lui décrire les lieux et de le questionner sur chaque élément qui s'y trouve implanté)
Fabien : pas très loin il y a le centre ville, ou sinon, tu peux aller au parc.
Fred : je vais au parc ! Arrivée au parc, qu'est-ce que je peux y faire ? Est-ce qu'il y a une structure en bois à escalader ?
Fabien : il y a bien une structure en bois, un bac à sable et une mare aux canards.
Fred : youpiii, je vais essayer d'escalader l'échelle de cordes de la structure en bois. Est-ce que c'est difficile ? (La question « est-ce que c'est difficile ? » doit-être posée par le joueur de Clover à chaque fois qu'il n'est pas sûr de parvenir à faire quelque chose ; si le papa lui répond que c'est difficile, il doit lancer un dé).
Fabien : oui, c'est difficile !
Je lance un dé (on a choisi un gros dé assez démesuré pour la référence avec le fait que pour un enfant, tout paraît énorme) : en fonction du résultat du dé, on réussit ou on échoue la tâche entreprise. Si le résultat est « haut », c'est réussi, sinon c'est échoué. Le seuil de succès n'est absolument pas déterminé. On avise au cas par cas.
On décide que Clover parvient à escalader tant bien que mal l'échelle de cordes et arrive en haut de la structure de bois.
Fabien : que ressens-tu d'avoir escaladé cette structure de jeu ?
Fred : d'ici on voit tout le parc et on a l'impression de le dominer.
Qu'est-ce que je peux faire maintenant sur la structure ?
Fabien : il y a des passerelles et un petit escargot qui descend le long d'un barreau.
Fred : j'observe l'escargot et je me demande pourquoi il laisse cette traînée de bave brillante. Je le prends dans ma main, il rentre dans sa coquille.
Fabien : tu peux le mettre dans ta poche.
Fred : Oui. Je descend par l'échelle de cordes, est-ce difficile ?
Fabien : oui, c'est très difficile !
Fred : je lance le dé, c'est un échec ! Clover se retrouve donc coincée en plein milieu de l'échelle de cordes. Je ne peux pas passer par là. Est-ce que je peux descendre par un autre endroit ?
Fabien : oui, il y a le bac à sable de l'autre côté, tu peux sauter.
Fred : est-ce que c'est difficile ?
Fabien : un peu.
Fred : je lance le dé et j'y parviens. Je saute donc dans le bac à sable. Là, je sors l'escargot de ma poche et je le mets dans le sable.
Fabien : il est tout couvert de sable maintenant.
Fred : je vais le laver à la mare aux canards !
Est-ce que je peux m'approcher du bord de l'eau sans problème ?
Fabien : oui, il y a une petite berge couverte de caca de canard. (Pour ceux que ça fait soupirer, attendez d'avoir des enfants et vous verrez que c'est approprié ;p)
Fred : est-ce difficile d'atteindre le bord de l'eau sans marcher sur le caca de canard ?
Fabien : oui.
Fred : je lance le dé, c'est un succès ! J'évite soigneusement les fientes et atteins le bord de l'eau. Là, je prend un bâton et j'essaye de sortir l'escargot de sa coquille. Est-ce difficile ?
Fabien : oui, plutôt.
Fred : je lance le dé et j'y parviens. Je plonge l'escargot dans l'eau pour lui faire prendre un bain. Comme il ne bouge plus, je demande : pourquoi mon escargot ne bouge plus ?
Fabien : je ne sais pas, pourquoi n'essayes-tu pas de voir par toi-même ? (il s'agit d'une autre phrase rituelle du jeu)
Fred : je le reprends et je veux m'éloigner du lac.
Fabien : mais un canard traverse devant toi.
Fred : j'essaye de passer sans l'énerver, est-ce difficile ?
Fabien : oui, très !
Fred : je lance le dé, j'y parviens. Je raconte que j'arrive à passer derrière le canard pour ne pas l'énerver, mais ce faisant, je marche dans du caca de canard (j'ai choisi ce détail pour le fun, je n'étais pas tenu de le faire)....
Fabien : est-ce que tu as eu peur ? (phrase rituel)
Fred : oui ! J'ai cru que j'allais le mettre en colère.
Je signifie à Fabien que ce serait cool de rentrer, il me dit :
Fabien : as-tu faim ? (phrase rituelle destinée à marquer la fin de l'aventure)
Fred : oui, beaucoup !
Fabien : tu rentres à la maison.
Ensuite, je donne un nom à mon escargot : Pissenlit, et mon papa me conseille de lui faire une maison avec un bocal puisque je veux le garder, ce que je réussis fort bien. Je lui présente Éloïse ma poupée et je joue à les maquiller. Puis mon papa me demande si je suis fatiguée (question rituelle de fin de partie), je réponds que oui et on clôt la partie.
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Tout d'abord, j'ai trouvé la partie vraiment très amusante, l'idée d'endosser le rôle d'une gamine de cinq ans dans des histoires trépidantes sans aucune gravité, sans réels dangers est très bien rendu par le jeu.
J'ai quand même ressenti un peu d'ennui vers la fin, sans doute parce que je n'ai pas entrepris de choses assez folles, j'en reparle un peu plus loin.
La relation entre Clover et son papa, basée sur des échanges de questions rend formidablement bien la relation qu'un père peut avoir avec sa fille (ma fille est plus petite que Clover, mais on a déjà ce type d'échanges).
Il est intéressant de noter que l'essentiel du jeu se base sur le principe de réification décrit par Romaric ici : viewtopic.php?f=26&t=1430&hilit=r%C3%A9ification
Le joueur du papa révèle le monde sous un certain angle de vue à l'enfant qui découvre l'inconnu. Les responsabilités de contenu et de situation sont bien partagées, il faut sans doute un peu de pratique commune pour trouver un bon équilibre. J'ai l'impression que si le papa ajoute plus de détails qui pourraient faire réagir le joueur de Clover, ça peut améliorer l'intérêt de la partie...
Le jeu fait en sorte d'annihiler toute tension, la dramaturgie est inexistante et les enjeux sont plutôt consensuels puisque c'est le joueur de Clover qui détermine, avec la validation du papa, s'il faut lancer un dé ou non. L'Exploration (de la fiction par les joueurs) est vraiment détachée de toute forme de méta-jeu puisque les mécaniques du jeu sont totalement justifiées par la fiction elle-même : les échanges entre les joueurs sont tellement proches de ce qu'il se passe entre père et fille qu'il n'y a aucune impression de sortir de la fiction quand on les utilise (le temps de s'y habituer peut-être, car certaines me semblent contraindre un peu l'évolution de l'histoire).
De même, le fait de décrire les actions est en phase avec le fait de jouer un enfant, qui a cet âge décrit souvent ce qu'il est en train de faire.
Ron Edwards parle de Story now et de prémisse : http://www.indie-rpgs.com/forge/index.php?topic=28607.0 mais j'avoue peiner à les voir dans notre partie. Sommes-nous passés à côté de quelque chose ?
Ben Lehman disait lui-même à l'époque que le jeu à deux n'était pas aussi fun qu'avec 3 à 5 joueurs. Il explique aussi que les règles sont suffisamment floues pour être réinterprétées (le petit format ne se prêtant pas à faire plus précis), je pense avoir de bonnes idées de comment régler divers points. J'en reparlerai si j'ai l'occasion d'y rejouer.
Je pense en revanche qu'il y aurait sans doute moyen de créer une synergie plus forte avec une participation plus importante du papa : le fait que Fabien ait intégré un escargot sur la structure en bois du parc a été très fertile pour l'histoire et le fait de me poser moi-même des choses à développer et à explorer me les rendaient moins intéressantes. Ce que pose le papa, on ne sait pas forcément ce que c'est. Il peut sans doute également le décrire de manière à ce que ce soit difficile à identifier pour le joueur (comme la balançoire dans le manga Yotsuba to ! Que la petite fille découvre et examine sans comprendre à quoi ça sert). Dans le CR de Ron Edwards, il semblerait que le papa était plus entreprenant.
Je n'avais pas lu le manga lorsqu'on a joué la partie, j'en ai à présent lu quelques chapitres et je me suis rendu compte que je n'avais peut-être pas joué Clover suffisamment intrépide. La partie était cool quand même, mais en comparaison, Yotsuba escalade les poteaux électriques, se balance trop fort sur la balançoire et est projetée, essaye d'échapper à sa gentille voisine, pensant qu'elle est méchante etc. De plus, dans Yotsuba to ! les situations créent des enjeux plus importants pour l'enfant : un déménagement, une inconnue qui lui propose de l'aide, se retrouver coincée dans les toilettes, car la porte n'ouvre plus... elle fait également pas mal de bêtises...
Je me demande à quel point les règles du jeu ne rendent-elles pas tout cela trop consensuel : le papa incite la fille à sortir de chez elle dans Clover. Dans Yotsuba to ! elle disparaît sans prévenir... Et le manga est ponctué d'humour du fait que la gamine est souvent en décalage par rapport aux adultes et parvient à les embarrasser assez facilement. Les situations sont souvent assez cocasses.
Il me faudrait lire le livret intégralement et rejouer une partie pour voir ce que permet vraiment le jeu à présent que je comprends mieux son fonctionnement. Et je garde malgré tout un avis très positif. Je me demande à quel point les parties de Ben Lehman étaient différentes de la nôtre. :)
Ron explique que certaines mécaniques sont tout à fait progressistes en terme de JDR.
Je serais particulièrement intéressé par le point de vue de ceux qui ont l'occasion de jouer au jeu, au sujet des points que j'ai soulevé dans ce rapport de partie. Si ce n'est pas le cas, n'hésitez pas à intervenir tout de même.