Voilà un sujet qui me passionne!! A un point que j'y ai passé du temps, beaucoup de temps.
Je te propose un retour d'expériences un peu structuré pour te voir où la musique m'a mené.
La musique comme empreinte émotionnelle d'une scène.
exemple : Dans ma trilogie "Pharaon", les personnages s'éveillent et comme dans la série des 4 400 découvrent qu'ils ont des capacités surnaturelles.
La musique que j'ai utilisé pour un des personnages qui va comprendre qu'il peut flotter dans l'air (et plus tard voler) est le prologue de Lady In The Water. Ce morceau dure 2'53'' et j'ai gardé une structure en 3 parties. La première assez lente et diffuse pose la situation; le joueur est dans sa salle d’hôpital, est sur son lit, je lui explique où et comment il se trouve. A partir de 40'' il y a un léger impact dans la musique et un changement de tonalité qui m'a servi à faire apparaître l’évènement surnaturel, le joueur se rend compte que les murs bougent, un tableau descend etc...pour se rendre compte que c'est lui et non les murs qui bougent. Pendant cette phase la musique monte tout doucement et encore une fois à 1'30'' change de rythme et est plus "vertigineuse". Cela m'a servi comme effet de levier pour parler des impressions pour le joueur; sensation de flottement, sentiment de joie et aérien, étonnement etc...
Ce morceau je le connais par coeur au point d'en connaître à l'avance les changement de tonalité et de rythme. C'est à dire que je peux surfer dessus comme un skieur de descente répète son trajet avant de chausser ses skis. La scène était linéaire et essentiellement descriptive. L'objectif ici est de proposer une séquence en dépassant la description; faire appel au sens pour toucher l'émotion et on s'appuie sur la musique comme effet de levier. Tu peux dire à un joueur que son personnage ressent une émotion, mais si la musique le conforte dans ce sentiment, alors il y a imprégnation.
Après feedback, les joueurs étaient unanimes, ils ont beaucoup aimé et se sont pris à ces séquences. Pour certains, quand ils entendent le prologue encore aujourd'hui cela les replonge dans ces scènes (autant vous dire que quand j'ai appris ça, mon égo a fait du moonwalk).
Elle est exportable pour d'autres émotions, l'excitation/énervement pour les combats, le contemplatif etc...Je me suis servi de cette technique pour des jeux comme D&D pour des bastons mémorables, des scènes de pré-duels à Qin, des phases inquiétantes à Aliens Twilight...etc. Le principe est de se rappeler qu'une musique peut contenir un effet émotionnel et de la réinjecter dans une scène de jeu de rôle.
Cette stratégie a 2 inconvénients. Elle se base pour beaucoup sur des phases descriptives (pour cause de timing) et elle suppose une connaissance très pointues des musiques.
La musique comme couleur d'une partie de scénario.
Là on est dans la musique d'ambiance. Elle baigne en général entre 20 et 30 minutes du scénario.
Exemple :
Dans une séquence d'Aliens Twilight, les personnages s'enfoncent dans un astéroïde et vont déboucher sur un oeuf d'Alien (la scène est très proche de celle qui existe dans le film sauf qu'il n'y a qu'un seul oeuf et qu'il est vide). Il me fallait donc une musique d'ambiance qui soit un peu mystérieuse et pas trop présente pour laisser la place à aux interactions autour de la table. Je me suis orienté sur une playslist des Rivières Pourpres dont voici un extrait; j'ai expurgé à l'avance des morceaux trop punchy ou qui ne cadrait pas avec le contexte.
J'avais mes 25 minutes de morceaux dans la même tonalité. Cette partie de scénario pouvait durer 10, 15 ou même 40 minutes peut importe, la playslist pouvait être relancée sans avoir l'impression de répétition si désagréable.
L'objectif est avec ce type de musique de ne pas être esclave de l'outil. On prépare à l'avance des playlist sous un thème précis et on sait qu'avec on a quelques dizaines de minutes possibles. Il faut coloriser le moment et non l'imprégner totalement.
Peut-on se passer de musique?
Oui certainement, j'ai remarqué par exemple que pour mes 3 parties de Boules de Neige, j'ai laissé quasiment laissé tombé la gestion de la musique pour que tout le monde se concentre sur la création de l'histoire (j'avais programmé quelques playlist et on a joué dessus toute la soirée sans qu'elles apportent quoique ce soit, il est vrai). La fabrication de l'histoire et sa cohérence a focalisé tout le monde en prenant le pas sur l'ambiance globale. J'étend donc cette idée aux autres jeux sous le modèle "story now". Si il est possible d'utiliser la musique comme couleur, elle peut difficilement être un véritable vecteur émotionnel. Il faudrait presque une personne chargée exclusivement de cela qui créé à l'unisson des autres joueurs la musique (ou la programme) en fonction de création spontanée autour de la table.
Oui, il vaut mieux, si la musique n'est pas parfaitement maîtrisée. Il vaut mille fois mieux un MJ qui ne met pas de musique, qu'un MJ qui n'arrive pas à lancer la bonne musique au bon moment. J'ai remarqué que l'effet était destructeur autour de la table. En effet, l'immersion du joueur passe avant l'effet musical. En effet musical lancé alors que le joueur n'est plus immergé dans la scène l'éloigne encore plus de l'immersion.
Exemple (de mémoire):
Lors d'une soirée Pulp, notre MJ Jérôme (rien à voir avec toi) a voulu masteriser en musique. Nos personnages devaient rencontrer un super-monstre, je crois. Il y avait une musique d'ambiance classique.
Jérôme : Vous sentez quelque chose derrière la maison
Moi : okay je sors mon revolver
Jérôme : A ce moment...attend...(5 secondes de silence, les joueurs se regardent, que cherche le MJ derrière son ordi?)... musique nerveuse qui commence...voilà, un Loup Garou surgit et saute dans ta direction
Moi : euh, ok...(petit rictus autour de la table entre les joueurs...)
Après coup tout le monde a trouvé ça inutile et contre-productif. L'avis général est que la scène aurait gardé de la fluidité et son immersion sans ce passage à vide et la musique finalement n'a rien apporté.
Je finirais par une note personnelle. Je n'ai pas essayé assez le mode "story now" pour valider mon hypothèse. Mais je peux difficilement masteriser sans musique. Quand je n'en mets pas il me manque quelque chose. J'ai la chance d'avoir une banque de BOF assez importante et de les connaître assez bien. Donc jouer sans musique pour moi reste assez rare. Cela me touche trop pour que je puisse l'enlever.