Salut Julien
Ok, je reviens pour discuter du contenu. Avant de commencer, j'aimerais préciser que je ne suis de loin pas un expert en matière de jeux ludistes. J'ai par contre une certaine expérience des jeux de plateaux (j'aime en particulier ceux de la "nouvelle vague allemande"), quelques jeux ordinateur tactiques (
Diablo II,
Starcraft,
Warcraft III,
Defence of the Ancients/Heroes of Newerth, en particulier) et à j'ai joué
Magic: The Gathering (enfin, quand je croise Romaric j'aime bien encore lui mettre une roustée) et
Warhammer 40'000 avant de faire du JdR, que j'ai commencé avec
Donjons et Dargons (
AD&D 2e édition et
D&D troisième édition). En ce qui me concerne, je suis donc à l'aise avec les concepts de base, les liens avec d'autres types de jeux et le vocabulaire général associé.
Je crois que ça vaut la peine de dégager quelques points théoriques afin de voir si on est bien sur la même plage. Puisque tu cites le terme « gamist », je vais donner la référence (qui date certes un peu) dans le domaine:
Gamism: Step On Up. Je m'en inspire librement, et quand j'utilise le « je » c'est juste pour les besoins de la conversation, je ne prétends pas avoir découvert ces choses par moi-même.
Exploration et situationTon rapport le montre très bien, mais j'ai bien envie de mettre le doigt dessus, peut-être que ça servira plus tard une fois. La différence entre un jeu de figurine ou de plateau et ce que vous avez joué tient dans le fait suivant: vos décisions se basaient sur ce qui faisait partie de la situation imaginée par tous. Vous Exploriez (avec une majuscule pour souligner le sens technique). J'en veux pour preuve en particulier ton attachement à justifier les actes de ton personnage (en jargon forgien, on appelle ce que tu fais la posture d'auteur). Dans un jeu de figurines, on s'en fiche de savoir ce que le joueur adverse imagine et pourquoi un chevalier tape sur un cultiste du chaos.
En relisant l'article que je t'ai mis en lien, je me suis rendu compte que tu avais très bien perçu un autre aspect fondamental du ludisme: la situation. Peut-être plus que dans les autres modes, ce qu'il se passe
maintenant est le point crucial. C'est là qu'on prend les décisions et qu'on va relever le défi. Quand tu nous dis que tu étais content d'avoir un personnage prétiré (défi sur comment l'utiliser de manière optimale) et quand tu insistes sur les détails du combat, tu es en plein dans ça. Un lecteur récalcitrant pourrait se dire que l'exploration n'est que du décorum pour le jeu de plateau, mais la recherche des catalyseurs en mode roleplay indique déjà un intérêt pour l'exploration. Il y a peut-être matière à faire pour lier davantage la situation et le plateau de jeu, mais ça c'est ensuite une question de style (dans le passage que tu cites de mon rapport de partie j'essaie de pointer sur cela: des choix se basant sur la description de la situation et qui ne sont pas immédiatement chiffrables en terme de système de résolution pur).
Définition de ludismeLe ludisme est un état d'esprit entre les joueurs et envers l'exploration. Pour le définir, il faut analyser ces deux niveaux:
1. Il faut se lancer. On attend des joueurs qu'ils fassent des choix tactiques et stratégiques malins, qu'ils sachent prendre des risques adéquats et qu'ils soient performants par rapport aux objectifs. On peut dire que d'après ton rapport, tu as su faire cela, tu t'es même mis des contraintes supplémentaires pour épicer le tout.
2. Tout cela s'exprime via des situations en cours d'exploration. Les personnages relèvent des défis, que ce soit du combat, des choix d'approche sur un objectif, d'âpres négociations, etc. Un défi digne de ce nom représente un risque pour les personnages. Julien, j'interprète tes objectifs secondaires encore une fois comme signifiant qu'il te fallait des risques (le MJ jouait gentil au début, avant de réaliser que t'étais à fond dans la partie).
Un point crucial concerne le fait que les joueurs doivent accomplir des performances risquées et que tout le monde à la table soit à même d'
apprécier ces contributions. Quand le MJ te félicite de lui avoir donné du fil à retordre, je ne peux m'empêcher de voir l'image des tennismen qui se serrent la pince après un match. Faites attention dans le long terme si les autres joueurs n'entrent pas dans cette logique, ils risquent de s'ennuyer ou tirer la couverture à eux en mettant l'accent sur des choses pas spécialement « sportives ».
J'aimerais aussi que l'on note le fait que le mot « compétition » n'apparaît pas dans cette définition. C'est bien sûr très souvent présent comme conséquence immédiate (à différents degrés d'intensité, à la fois au point 1 et au point 2), mais ce n'est pas ce qui définit le ludisme et on en trouve dans les autres démarches aussi.
Tes questionsJe crois qu'il faut définir un autre terme encore pour discuter: le degré de
hardcore. Une partie très hardcore serait une partie où le point 1 de la définition se greffe quasiment directement à l'utilisation des règles, avec le point 2 à peine là pour justifier la manipulation des règles. Dans ma partie de
D&D que tu cites, c'était relativement hardcore: il y avait peu de roleplay, tout était dirigé sur la situation dans le but de la résoudre, sans plus. Par moments, nous ne prenions même plus la peine de justifier nos choix après coup (ce qu'on appelle la posture de marionnettiste, que j'évite idéalement). Pour autant, une partie peut être très ludiste même si elle n'est pas hardcore.
En interprétant un peu tes questions, le passage que tu as extrait de mon rapport de partie était une tentative justement d'offrir un choix un peu moins hardcore en se basant sur l'Exploration: par exemple étant données les ressources du groupe de personnages, vaut-il mieux prendre un sentier sinueux dans les falaises (risques de tomber) afin d'éviter un piège (sous la forme d'éboulis de pierre)? Cela se laisse très bien évaluer après avoir passé les falaises en question, en comptabilisant les ressources perdues (PV, sorts, potions) par rapport à ce qui aurait pu être le cas dans l'autre situation.
Nous jouions des personnages de bas niveau (1-4 en cinq sessions si mes souvenirs sont bons) et je n'ai jamais très bien compris pourquoi, mais le barbare du groupe faisait tellement mal que les combats duraient rarement plus de deux ou trois rounds, malgré le fait que je mettais des monstres selon les recommandations du Guide du Maître. Les combats avançaient donc assez vite, et parfois justement il fallait prendre des décisions d'un autre ordre.
Concernant la mauvaise foi, je pense qu'il faut être très clair sur les procédures de jeu. Pour du
D&D ou du
Warhammer comme tu nous l'as présenté, je pense que le MJ doit d'abord décrire la scène et les forces en présence (selon ce que prévoient les règles, si elles le prévoient...) et ensuite seulement jouer l'adversité selon ce qu'il a décrit (évidemment, les situations d'attaques surprises sont des cas particuliers). Tout ajout à la scène par la suite risque de modifier l'équilibre du défi et si cela paraît arbitraire, cela peut donner l'impression que l'on triche. On pourrait imaginer que tout ajout ultérieur devrait se faire en dépensant une certaine ressource. Ou tout simplement interdire toute modification. C'est un problème hautement non-trivial, que j'ai essayé de décrire un peu dans
[Jeu de dupes] Pétrole africain.
Il y a aussi beaucoup de petits trucs que les rôlistes pensent être vachement importants (par tradition), mais qui sont typiquement ultra chiants. Le coup de l'arme qui n'est pas à la portée? À moins que ce soit une capacité spéciale d'un monstre, je trouve ça très bête parce que ça empêche d'entrer dans la logique de surmonter un défi selon les outils que nous fournit le jeu. Dans notre partie de
D&D on évitait ce genre de choses (encore une fois, mes souvenirs ne sont plus très nets, peut-être j'invente). En gros, ce qui est sur une feuille de personnage est une ressource à disposition de joueur au début d'un conflit, peu importe comment il faut justifier cela au niveau de l'Exploration. Nous ignorions les règles d'encombrement et nous faisions semblant de ne pas voir l'absurdité d'un mec chargé d'objets hétéroclites se balader dans le paysage (pour cela, c'était très proche de la plupart de JdR ordinateur). Si le MJ voulait mettre en doute la présence ou non d'un équipement, alors il aurait à mon sens fallu qu'il ait une règle pour justifier cela (par exemple prendre en compte le désarmement comme une difficulté supplémentaire quand on prépare la rencontre, afin que cela reste équilibré). Pour le reste, je n'ai pas souvenir d'une situation où la mauvaise foi est intervenue. Le MJ décrivait le défi, les joueurs le résolvaient selon les règles, point. Ceci dit, aucun d'entre nous n'est particulièrement pinailleur sur les règles (je suis le pire je pense) et nous n'avons pas utilisé toutes les règles (je ne me rappelle même plus si quelqu'un a jamais eu recours aux règles de couvert, qui demandent effectivement de juger le degré de couverture et auraient donc pu être un problème). Mon intuition est donc qu'il faut des règles simples et claires. Plus il y a de nuances, plus on s'expose à du pinaillage. T'es à couvert? T'as un bonus de +X (peu importe ton degré). J'aurais donc tendance à privilégier des règles moins complexes que
D&D. Cela ne veut pas dire que le jeu n'est pas intéressant! J'en veux pour preuve « l'école allemande » du jeu de plateau minimaliste, mais ultra riche en possibilités en cours de partie (à comparer avec le foisonnement bordélique d'éléments dans les jeux américains et français, dont on se demande souvent si cela apporte véritablement quelque chose au jeu).
Quelques titresPour la forme, voici quelques exemples non-Forge:
Kobolds Ate my babies et
RuneQuest sont cités dans l'article de Ron, mais je ne connais pas.
Dungeons & Dragons (j'essaie même pas de mettre un lien): les premières éditions font aujourd'hui l'objet d'un culte « retro-gam
ing »,
AD&D est un mix incohérent entre sim et lud, puis retour au ludisme assumé avec la 3e, la 3.5 et la 4e dont je ne connais pas grand chose (ça a l'air dêtre très hardcore). Selon
ce que j'en ai lu Tunnels & Trolls (il semblerait que la 7e édition est décevante, celle dont j'ai lu des choses positives est la 5e je crois) pourrait être moins hardcore que
D&D (mais très mortel pour les PJ).
Parmi les auteurs qui trainent sur la Forge ont peut trouver:
Elfs (burlesque et très orienté sur l'utilisation créative de la situation, plus que sur les règles-mêmes, d'après ce que j'en comprends à la lecture),
Orx (j'en sais trop peu),
Beast Hunters (intéressant sur un plan formel à la lecture, c'est très bien réfléchi, rien n'est laissé au hasard tout en laissant une grande place à l'Exploration via des compromis entre les deux joueurs, aucune idée de ce que ça donne en cours de jeu). Finalement
Drowning and Falling est un jeu d'exploration de donjons loufoque, mais je n'en sais pas plus. Il est possible de trouver des rapports de partie sur la Forge pour ces jeux, sauf
Beast Hunters. En préparation il y a le très prometteur
Storming the wizard's tower. Pour un ludisme très particulier, pas du tout méd-fan cassage de monstres il faut tester
1001 Nights, qui est un jeu où l'on doit raconter des histoires pour ne pas se faire décapiter par le sultan blasé (mais les autres nous mettent des bâtons dans les roues). Certains prétendent que
Capes se prête très bien au ludisme, d'autres disent que c'est un hybride ludiste-narrativiste (je pense personnellement que leurs descriptions ne justifient pas ce qualificatif), d'autres disent qu'il est purement ludiste, et moi je me demande si ce jeu n'a pas une ou deux faiblesses de conception qui permettent au doute de subsister (Guillaume (Nocker) saurait nous en dire plus). Pour des techniques que l'on associerait par réflexe au ludisme, mais en vérité utilisé pour soutenir une démarche créative différente, il y
3:16 (il est traduit en français!)
Et par ici il faut aller titiller Frédéric sur
Gloria, on avait fait une partie très sympathique avec Fabien et l'auteur! C'est en tout cas un niveau de hardcore qui me convenait très bien, on avait réussi à intégrer beaucoup de choses dans l'Exploration de manière satisfaisante (par exemple, le personnage de Fabien est devenue « amie » avec un esprit de la nature gigantesque et un village fut renommé en son honneur après notre aventure: gratification/récompense à la fois pour le joueur et le personnage).
Ce message est un peu monolithique et abstrait, n'hésite pas à revenir sur des questions que je n'aurais pas assez traitées à ton goût, Julien.