3 obstructions : La consistance de la fiction

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3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Frédéric » 17 Nov 2009, 10:50

Introduction
Depuis un moment déjà, cet embryon de théorie me taraudait, mais j'avais un mal fou à mettre des mots dessus.

Il s'agissait d'un rapport aux éléments fictionnels qui me paraissait fondamentalement différent entre une partie de Prosopopée et une partie de Cthulhu (si tant est que ça puisse désigner quelque chose d'homogène)...

Voici un exemple de ce dont je veux parler :
Asynchronisation, partie de Prosopopée a écrit :Frédéric : « Celui qui donne des réponses met pied à terre… »

Romaric : « Vous ne devriez pas. »

Frédéric : « Vous savez, je ne peux être affecté par les choses, tout comme vous. Je cherche simplement les réponses qui ne me viennent pas spontanément. » Celui qui donne des réponses continue, s’aventure dans le village, il ouvre la porte d’une maison…


Remarquez que dans cet exemple, j'entreprends une action et je vais jusqu'à son achèvement et je vais même jusqu'à pouvoir décrire les conséquences de cette action. On est donc très loin de l'idée que le MJ narre tous les résultats et conséquences des actes des PJ.

Je pense que cela a un rapport direct sur l'impression de tangibilité des éléments composant l'espace imaginé et partagé (EIP = l'ensemble de ce qui compose la fiction, pas dans la tête des joueurs, mais telle qu'elle est exprimée au cours d'une partie).
Ces observations m'amèneront à développer quelques points supplémentaires.

Rapport de partie
Et puis on a joué l'initiation de Gaël à la maîtrise fondée sur l'impro.
C'est après cette partie que Gaël et moi avons discuté de ce point de théorie jusqu'à une heure plus que tardive...

L'expérimentation de trois parties jouées les unes après les autres m'a fait saisir plus précisément ce concept que je n'arrivais pas à cerner.

Partie 1
Contraintes :
  • Aucune préparation
  • Le MJ doit définir dans quel type d'univers on joue
  • Il choisit qui sont les PJ
  • Il dresse une situation initiale
  • Pour résoudre les conflits, on lance 1d6, pair = succès, impair = échec
Nous jouons donc dans un univers spatial futuriste.
Nous sommes le capitaine et le machiniste d'un vaisseau.
L'ordinateur de bord signale un problème sur la cinquième aile arrière gauche.

Nous nous y rendons.
Gaël nous pose des obstacles : la porte qui mène au sas de sortie proche de la cinquième aile est bloquée. Nos codes ne fonctionnent pas.
Magali demande : n'y a-t-il pas un système manuel en cas de panne ? (Elle demande au MJ, elle ne décide pas qu'il y en a un, elle attend qu'il confirme ou infirme).
Gaël décide qu'il y a bien un système manuel de secours, je ne sais plus s'il s'agissait d'un levier ou d'une roue...
Nous avançons dans un couloir puis arrivons au sas où nous enfilons nos combinaisons spatiales sur ma suggestion.
Puis nous sortons sur l'aile et là...
Gaël nous raconte qu'on voit des singes dévorer le métal... surprise de taille, des singes dans l'espace, ok... le canon de la partie se précise.
Avec Magali on tergiverse un peu, on va aller chercher des armes dans le vaisseau... et puis zut, je m'avance vers eux et je leur donne des coups de pied pour les faire partir.
Je lance le dé, réussite.
Gaël décide que les singes décampent, mais vont attaquer d'autres parties de la carrosserie du vaisseau ! (remarquez que si j'avais annoncé que mon intention était de faire fuir ces singes pour de bon, Gaël n'aurait pas pu juger que mon idée n'était pas suffisamment bonne, ou bien trouver une échappatoire pour éviter que la situation ne soit désamorcée trop facilement... Malgré l'aléatoire du système de résolution, le MJ Gaël est le maître du jeu. Il nous emmène là où il veut qu'on aille. Mais il fait selon nos propositions, de toutes façons, il est en impro totale...)

Force est de constater que l'EIP qui s'est grandement coloré avec l'apparition des singes de l'espace bouffeurs de métal, avait une consistance assez faible. Nous savions qu'il improvisait. Le contrat était : "acceptez ce que je (le MJ) dis comme existant, réagissez à mes propositions et voyons où ça nous mène".

2e partie
Les contraintes :
  • Préparation :
  • Les joueurs choisissent l'univers
  • Le MJ crée une situation initiale avec un dilemme potentiel
  • Les joueurs créent leurs persos, système : The Pool
Univers : époque Arthurienne.
Situation problématique : le roi Arthur est au front contre les barbares. Il a besoin de tous ses chevaliers, mais l'assassin de ma bien aimée et la bien aimée de mon comparse se trouvent dans une ville non loin d'ici, l'assassin attaque la ville en question.
Nous avons décidé en premier lieu de nous rendre à la ville plutôt qu'au front, mais rattrapés par l'intendant, je perds le conflit et me résout à aller au front.
Mon comparse me laisse un mot pour qu'on se retrouve non loin de la ville, mais je décide que je ne peux mettre davantage mon honneur en péril.

Gaël se basait sur ses rudiments de connaissances historiques pour rendre ça un minimum crédible, mais le fait de ne pas être très à l'aise avec cet univers créait des variations fortes de crédibilité. En revanche, le peu de préparation précédant cette partie amenait une teneur que la partie précédente ne possédait pas : les choses qui peuvent se passer nous amèneront forcément quelque part et nous permettront d'explorer une prémisse : quand les histoires personnelles nous détournent-elles légitimement de notre devoir ? (ou un truc dans le genre). Bref on n'a plus l'impression que ce qu'on joue est futile.

3e partie
Contraintes :
  • Préparation de la partie :
  • Le MJ choisit le contexte
  • Il écrit un scénario en trois actes avec coup de théâtre final planté dans une des scènes précédentes
  • Il crée le PJ (j'étais le seul joueur à ce moment-là)
  • système : The Pool

Contexte : notre monde, aux états unis, un homme d'affaire a une vie riche en responsabilités. Il est très amoureux de sa femme, il souhaite l'épouser bientôt.
Situation plantée par Gaël : un soir, en rentrant tard, l'homme d'affaire découvre que sa femme n'est pas dans leur appartement.
Je cherche des traces d'effraction et j'en trouve sans trop de difficulté. Puis le téléphone sonne, ce sont les ravisseurs qui me demandent une somme d'argent astronomique (mais que je possède) pour me rendre ma femme.
J'essaye (oui, hormis quand je gagnais un conflit, Gaël entreprenait de gérer toutes les issues et toutes les conséquences de mes propositions) de me rendre à la police, mais je suis suivi dans la rue. Les gars me rattrapent et me tabassent alors que j'essaye de les semer (j'ai perdu le conflit).
Puis, une scène que j'ai quasiment imposé : l'homme d'affaire prend un whisky, de la fenêtre de son salon, on voit les immeubles de New York...
J'appelle ma banque, un collègue y travaille (là c'est moi qui ai décidé ça, en demandant la permission après coup au MJ ^^) je lui demande de prévenir les flics.
Puis je vais retirer l'argent, (ça va dans le sens du scénario, donc Gaël n'oppose aucune résistance) je suis toujours suivi, mais ils me laissent tranquille, puisque je fais ce qu'ils veulent.
Je me rends au lieu du rendez-vous.
Les ravisseurs sont armés, bien entendu, mais alors que je pose la mallette au sol, les flics débarquent et une fusillade a lieu (Gaël a réincorporé efficacement une de mes propositions précédentes : le fait d'avoir fait prévenir les flics).
Je profite de la fusillade pour désarmer le chef et le menacer. Échec du conflit (décidément) il me regarde dans les yeux, me disant que je n'aurais pas le cran de tirer et me désarme et s'enfuie dans une fourgonnette.
Mais les flics tirent dans les pneus (flics violents !) et la fourgonnette se renverse. Là, le preneur d'otage sort avec ma femme et la menace avec un couteau.
Je fais le tour d'un entrepôt, ramassant une barre de fer au passage (on est sur les docks, j'ai proposé ça, Gaël n'y a pas vu d'inconvénients).
Mais arrivant derrière le ravisseur, j'entends ma femme qui semble être de connivence. Je laisse tomber la barre de fer, ils m'aperçoivent, elle se confond en explications, mais je m'en vais.

Ici, j'ai volontairement mis l'accent sur le jeu un peu informel de qui a le dernier mot sur quoi. On se rend compte que tant que je ne risque pas de bouleverser son scénario, je peux proposer, voire exiger des choses sans problème. En revanche, tacitement, tout ce qui touche au scénario doit être validé ou invalidé par le MJ.
Je pense que ça génère une plus grande résistance de l'exploration aux choix du joueur.

Théorie : La consistance des éléments de l'EIP
Dans ces trois parties, j'ai expérimenté trois niveaux de "consistance" différents.
La première était très souple, du moins pour le MJ, mais cela a out de même une influence sur la façon dont les joueurs appréhendent l'EIP.
La dernière était très rigide (il n'y a pas de jugement de valeur dans l'emploi de ce terme, vous le verrez plus loin), car la moindre proposition du joueur ne pouvait se faire que si elle était soumise au jugement du MJ.

Prosopopée quant à lui est d'une souplesse extrême pour les joueurs. Examinons tout ça :

Malléabilité/Rigidité

  • On dit d'un élément de l'EIP qu'il est malléable quand il oppose potentiellement une faible résistance aux transformations opérées par le joueur
  • On dit d'un élément de l'EIP qu'il est rigide quand il oppose potentiellement une forte résistance aux transformations opérées par le joueur

La résistance, c'est la tendance du système (au sens forgien : la façon dont on se met d'accord pour prendre des décisions pour faire avancer la partie) à rendre la modification des choses et des faits incertaine.

Trois facteurs entrent en compte :

    1. Le partage de la responsabilité sur ces modifications (qui narre le résultat de l'action ou la possibilité que ça se réalise, par exemple...)
    2. les mécanismes de résolution (quand lance-t-on les dés, qui décide, comment augmente-t-on les chances de succès etc.)
    3. L'influence du canon (j'explique ça plus loin)


Le partage d'autorité et les mécanismes de résolution :
On peut imaginer l'axe suivant :
Malléabilité (M) <----------------------> Rigidité (R)

Voici une déclinaison d'exemples qui vont de M vers R à partir d'une proposition :
Élément de l'EIP : "Ennemi (ou menace) orc".

    1. Joueur A : "Je donne un coup d'épée pour tuer l'orc, mon épée perfore ses entrailles, il tombe raide mort".
    2. Joueur A : "Je donne un coup d'épée pour tuer l'orc..." (Lancer de dés : réussite) ; Joueur A : "mon épée perfore ses entrailles, il tombe raide mort".
    3. Joueur A : "Je donne un coup d'épée pour tuer l'orc..." (Lancer de dés : réussite) ; Joueur B (MJ ?) : "Ton épée perfore ses entrailles, il tombe raide mort'.
    4. Joueur A : "Je donne un coup d'épée pour tuer l'orc..." ; Joueur B (MJ ?) : "Ton épée perfore ses entrailles, il tombe raide mort".

L'idée que la résistance est plus grande si le MJ ou un autre joueur décide arbitrairement du résultat comme au point 4 est discutable, mais pour le moment, elle me plaît (en tout cas, il me semble que son biais est qu'elle dépend de la connivence et de l'influence qu'ont socialement les joueurs les uns sur les autres. Un MJ influençable rendra peut être ce type d'interactions très malléables, mais souvent dans mon expérience, c'est plutôt l'incertitude la plus totale quant à l'issue de mon action...).

L'influence du canon :
Imaginons que nous jouons à un JDR où l'on incarne des samurais.
Le code des samurais stipule qu'un samurai ne doit jamais frapper un adversaire dans le dos... Voici plusieurs manières de jouer une telle règle de conduite (dans mon idée, le groupe s'accorde, même tacitement, sur la manière de gérer cette règle, autrement, il s'agirait d'une autre question dont je ne veux pas discuter ici) :

    1. Les samurais ne devraient pas le faire par ce que c'est écrit dans le code, mais c'est bien commode de frapper dans le dos, on n'est pas suicidaires non plus. Les règles sont faites pour être brisées, chacun est libre d'agir comme il l'entend après tout.
    2. Les samurais ne doivent pas le faire, mais ça dépend de leur propre déontologie, après tout, pas vu pas pris. Ils devront cependant assumer les conséquences de leurs actes.
    3. Les samurais ne doivent pas le faire, les conséquences seront terribles pour celui qui est coupable d'un tel comportement (proposition dissuasive cf. le sixième message de cette page).
    4. Les samurais ne le font pas. (Un samurai qui frappe quelqu'un dans le dos n'existe pas dans ce monde).


Les espaces de créativité
Le système d'un JDR amenant le joueur à faire des choix, ceux-ci sont fortement conditionnés par la consistance des espaces de créativité proposés par le jeu :
Des JDR comme Zombie Cinema ou Prosopopée offrent des espaces de créativité rendant la plupart des éléments de l'EIP extrêmement malléables (Les choses soumises au système de résolution acquièrent de la rigidité).
Des JDR historiques comme Pavillon Noir, L5A ou Pendragon peuvent être joués de plusieurs manières, mais leurs espaces de créativité tendent à rendre les éléments de l'EIP très rigides (car le canon est lui-même extrêmement rigide).

Avantages et inconvénients :
La malléabilité :
+ offre de la liberté, de la créativité, une emprise sur l'EIP, ce qui peut suffire pour donner au joueur de l'intérêt pour le jeu
- rend la fiction souple, voire flottante, elle peut être presque intangible, les choses peuvent changer facilement, on les "éprouve" moins, on s'éloigne de l'impression que nous donne le réel que chaque chose offre une résistance (un œuf peut être difficile à casser si on exerce une force dans le sens de la longueur).

La rigidité :
+ donne du "corps" à la fiction, tend à amener le joueur à éprouver davantage les choses sur lesquelles il souhaite produire un changement
- cela diminue la liberté des joueurs, attention à ce que le cadre ne devienne pas une cellule de prison

La synesthésie
Rien à voir avec la synesthésie, voyons !

La préparation des parties
Je pense que toute préparation précédant une partie de JDR amène de la rigidité à l'exploration des éléments de l'EIP qu'elle définit.

Je pense également que les éléments de l'EIP qui préexistent gagnent énormément de "corps" : le joueur qui sait que le MJ improvise les indices d'une enquête se positionnera différemment de celui qui sait ou croit que ces indices sont préparés à l'avance : ce dernier attend d'une préparation de la part du MJ (ou d'un auteur) une cohérence plus importante et un effet de vertige dû à la découverte de cette cohérence par effet de dézoom : il découvre un ensemble de faits ou d'évènements épars qui finissent par se relier et dévoiler une architecture insoupçonnée (une machination, un complot, une intrigue, un plan machiavélique, une révélation, une découverte mettant en péril nos croyances etc.)

Cela ne fonctionne que quand le talent du MJ (de l'auteur du scénario en fait) correspond au niveau d'exigences du joueur.

***

D'un point de vue purement prescriptif, je pense que tout bon jeu doit présenter une part de rigidité et de malléabilité. Dans Prosopopée, la rigidité est induite par le canon et les mécaniques autour des problèmes.
Dans les jeux à magie "ouvert" (sans liste de sorts), la malléabilité réside souvent dans le fait de pouvoir inventer ses pouvoirs.

Histoires de poche souffre selon moi d'une absence trop grande de rigidité, car aucune mécanique et aucune préparation ne soutiennent l'exploration. Résultat, malgré la résistance induite par le système de conflit, les histoires produites semblent futiles, superficielles, sans teneur. J'avais ce problème lors de mes premières versions de Psychodrame, il m'a fallu amener une préparation des personnages qui compense l'absence de scénario pré-écrit et j'ai fait en sorte que le système du jeu exploite à fond l'interprétation des joueurs et la justification a posteriori. Désormais, le problème est résolu.

Certaines parties de JDR historiques souffrent à mon expérience d'une absence trop grande de malléabilité. Tout ce qu'il est possible de faire est codifié, on ne peut pas faire un pet de travers sans finir en taule, sans subir le courroux des dieux...


Cette théorie n'est pas figée, discutons-en pour l'affiner !
Frédéric
 
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Nocker (Guillaume) » 17 Nov 2009, 15:06

Déjà, j'ai l'impression que tu omets de préciser quelque chose. Tu parle de rigidité propre à un jeu, mais pour moi elle est propre à un jeu et à une position. On n'a pas la même rigidité lorsqu'on est MJ que lorsqu'on est joueur, et ce alors qu'on joue au même jeu.

Je suis assez d'accord avec ton opposition théorique.
Par contre, je n'appellerais pas ça comme ça. Je m'explique.

On se place bien évidement du point de vue de celui qui fait la proposition. Voyons d'abord l'extrême rigide. Il propose un élément, mais ne maitrise pas les conséquences de cet ajout ni même son acceptation. Il y a incertitude quant à savoir ce que produira sur la fiction sa proposition. Mais elle n'est "rigide" en aucune façon, car le MJ peut très bien décider sur le moment de l'acceptation, sans aucune préparation, et ça n'enlève rien à l'incertitude de la proposition (du point de vue du joueur).
Pour suivre ton analogie avec le monde réel, ça n'est pas parce qu'il y a incertitude quant à la résistance qu'il y aura davantage de résistance. Et ça n'est pas parce qu'on connait parfaitement les paramètres qu'il n'y aura pas de résistance.

Incertitude et résistance aux propositions sont pour moi deux axes perpendiculaires.

Je vois deux cas d'incertitude identiques mais de résistances différentes : prenons un même système de résolution, dans un cas, le MJ a préparé son scénario, et veut absolument le faire cadrer, dans l'autre le MJ n'a préparé qu'un environnement et est ouvert à n'importe quelle proposition, car il veut simplement accepter ce que veulent les joueurs.

Je vois deux cas de résistance identique mais d'incertitude différentes : le système du premier est qu'une proposition d'un joueur est acceptée si il dépense un jeton "narration". Le système du second est qu'une proposition d'un joueur est accepté s'il fait 6 sur 1d6.

Tu vois ce que je veux dire ?
Le meilleur conseil aux rolistes, par John Wick.
Nocker (Guillaume)
 
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Frédéric » 17 Nov 2009, 15:25

Ça me paraît pas mal du tout, ça !

Il faut que je le digère, que je l'examine sous toutes les coutures etc.

À première vue, j'ai du mal avec l'idée que dépenser un jeton de narration ou obtenir un 6 sur 1d6 soient de résistance similaire... Tout simplement parce que dans le cas d'un coût strict avec possibilité de narrer à coup sûr, il me semble qu'il y a une différence de résistance par rapport à l'aléatoire : dans l'un des deux cas, une fois le choix effectué, on peut ne pas y arriver, alors que dans l'autre c'est impossible d'échouer...

Les deux axes résistance-incertitude me posent problème, car dans le fond, je ne sais pas la définition que tu mets derrière.
Pour moi, la résistance est l'incertitude de pouvoir modifier la fiction, mais je fais peut être un odieux raccourcis.
Considères-tu que si le MJ met une difficulté de 12 qui est supérieure à une difficulté de 5, la résistance est plus forte ?
Auquel cas, ce n'est pas vraiment la façon dont j'utilise ce terme.
Mais ça soulève du coup un point intéressant.
Frédéric
 
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Lionel (Nonène) » 17 Nov 2009, 16:39

La synesthésie
Rien à voir avec la synesthésie, voyons !


Hahahaha !

Histoires de poche souffre selon moi d'une absence trop grande de rigidité, car aucune mécanique et aucune préparation ne soutiennent l'exploration. Résultat, malgré la résistance induite par le système de conflit, les histoires produites semblent futiles, superficielles, sans teneur.


J'ai beaucoup joué à Histoire de poche avec des élèves et ta théorie est intéressante pour en expliquer certaines parties.

Des élèves ont beaucoup apprécié certaines parties où je masterisais. Je crois que ça venait du fait d'un apport de rigidité de ma part... une rigidité préparée rapidement mais qui tient la route.
En gros, les élèves préparaient leurs personnages... je les lisais et prennaient 30-60 secondes de réflexions (Cela les amusaient beaucoup de me voir réfléchir en répétant à haute voix leur feuille de perso) et ensuite je démarrais le jeu.
En fait, je créais un scénario (qui évoluait sensiblement au fil du jeu). J'avais une rigidité issue des idées que j'avais forgés en 30-60 seconde et je dirigeais le scénario dans ce sens. Les joueurs étaient ébahis parfois devant certaines "révélations". Par contre, le fait que je ne préparais pas grand chose (mon scénario avait pris 30-60 sec) ne "m'obligeait" en rien avec ce que j'avais préparé. Il n'y avait pas d'investissement. Je pouvais laisser tomber des idées pour de nouvelles, je redéfinissais la cohérence au fure et à mesure.

Là en l'occurrence, c'était plus l'illusion de la rigidité qui faisait son effet qu'une véritable rigidité effective.
Lionel (Nonène)
 
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Frédéric » 17 Nov 2009, 17:24

Tu soulèves un truc important : comme souvent, la résistance est induite par le système mais estimée par le joueur, il arrive qu'on la fantasme complètement... C'est ce que disent beaucoup de rôlistes : l'important ce n'est pas que les joueurs aient la liberté, mais qu'ils en aient l'impression.

Même dans des parties avec des scénars très ouverts, des joueurs chevronnés ont parfois du mal à savoir ce qui était préparé de ce qui ne l'était pas.

Au final, il y a deux écoles :
Les défenseurs de la malléabilité : l'impro y a que ça de vrai
Les défenseurs de la rigidité (encore une fois, il n'y a pas de jugement autour de l'emploi de ce terme) : rien ne vaut un bon scénar bien préparé

Bon, je pense que je fais déjà des raccourcis, car la malléabilité ne se résume pas à l'impro, ni la rigidité à un scénar. Mais ça schématise deux courants.
Frédéric
 
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Lionel (Nonène) » 17 Nov 2009, 18:06

Alors dans ce cas, si c'est une estimation par le joueur. Comment peut-on véritablement schématiser théoriquement ?

C'est relatif à la façon de jouer et à ce que les gens ressentent. Pour reprendre l'exemple que j'ai donné, les élèves pouvaient avoir l'impression d'une relative rigidité alors que moi de mon côté, ce n'était pas mon impression.
Lionel (Nonène)
 
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Frédéric » 17 Nov 2009, 18:21

En fait, je pense que le système et le canon sont les choses les plus objectivables.

Plus le système fonctionne avec de l'informel, plus les règles sont opaques et laissent finalement le MJ décider et plus il risque d'y avoir fourvoiement dans l'appréciation qu'a le joueur de la consistance de l'EIP.
De la même manière, il est possible que trop de malléabilité ou trop de rigidité amènent aussi à des dérives au final : l'illusionnisme le plus dur laisse croire aux joueurs qu'ils ont une liberté d'action alors qu'au final ce n'est pas le cas...

Il y a ce que le joueur sait qu'il peut faire, le contrat ou la convention du groupe concernant le canon peut également être assez clair. Et puis il y a la part de flou.
Mon joueur à Bienvenue à Poudlard aurais pu se dire : puisqu'on décide du résultat des conflits qu'on gagne, c'est sûr que le MJ doit improviser un max. Ça doit être ses habitudes de jeu qui l'ont empêché de voir le truc. Il est possible d'ailleurs qu'une nouvelle partie avec ces mêmes joueurs puisse être encore plus fun maintenant qu'ils ont compris les techniques que j'utilisais (difficile de leur en faire part avant d'avoir joué la partie).

Après, je ne sais pas forcément que dire de plus pour le moment. ^^
Frédéric
 
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Meta » 20 Nov 2009, 07:31

Je réagis à chaud à ton premier post ; je n'ai pas encore lu les réponses, mais je tenais à avoir bien en tête les racines du thread :

il me semble que tu distingues préparation de la partie / improvisation, mais au sens où la préparation serait une mise en place de tenants, aboutissements, événements liés au problème. Si je prends Vampire qui offre ce que peu de jeux permettent de produire : un "cadre" d'improvisation (mais ceci existe dans L'Appel de Cthulhu par exemple, avec les suppléments Kingsport, Arkham, Dunwitch, surtout Dunwitch, en fait, il faudrait revenir sur le pourquoi). En fait, je me souviens avoir eu une baffe terrible quand j'étais ado lorsque j'ai vu que le meneur qui nous initiait à Vampire n'avait pas de scénario, mais n'improvisait pas non plus : il avait des figures narratives et esthétiques, seulement, c'est-à-dire des figures du cadre. Autrement dit, il avait une vingtaine de vampires dont il possédait les descriptions (histoires, motivations actuelles), des lieux (le théâtre, tel bar où ils se réunissent, etc...). Il posait ensuite une trame, mais seulement comme "fond", comme "contexte vague" : des rumeurs circulaient, et le prélude était simplement lu par le meneur au début du scénario avec une musique d'introduction dynamique qui nous plongeait dans l'ambiance et nous donnait les éléments nécessaires à la compréhension des enjeux. Puis, puisqu'on jouait en temps réel (je crois que c'est important, ici), on s'éveillait dans le refuge commun, et on se mettait à converser. Que faire ? Il y a un opéra ce soir. Il y a un vampire que je connais qui aurait disparu. Il y a un vampire qui aurait déclaré des intentions politiques contraires aux miennes. Etc... Dès lors, nous pouvons agir, initier un mouvement imprévu : rencontrer tel vampire pour lui proposer une alliance, ou aller simplement se distraire à l'opéra. Ici, le meneur connaît sa ville, et la ville réagit, tout simplement, comme un corps qui possèderait des organes, et qui réagiraient aux stimuli extérieurs que sont les joueurs qui ont introduit dans ce corps de nouveaux organes : les personnages. Je veux en venir au fait que la fiction, ici, est improvisée, mais on n'en a pas l'impression, car tout réagit de manière diablement logique ; le meneur n'a qu'à penser à la logique de développement de son cadre pour le faire réagir, et choisir parmi les possibilités celle qui est la plus souhaitable ou désirable de son point de vue. On est au fond dans un ente-deux vis-vis de ce que tu décrivais, il me semble : une improvisation totale sans donner l'impression de cette improvisation car ce cadre est maîtrisé et bien connu du meneur de jeu. Et du coup, le meneur peut dévoiler ou même inventer les tenants cohérents d'une machination : "ah mais attends, si ce personnage-jouer propose ça, cela va amener le prince de la cité à faire ça, et donc à affirmer son contrôle sur telle chose et manipuler telle personne" : hop, un complot se met en place en quelques secondes et il crée une cohérence, une articulation à la fois esthétique et logique dans la ville. Je te laisse réagir à cela ; peut-être ce que tu énonces prenait-il en compte cet aspect.

Sinon, concernant les jeux historiques, tu dis qu'il y a une rigidité, pas assez de malléabilité, mais je ne suis pas tout à fait d'accord. Je vais essayer de te montrer que ce n'est pas forcément le cas, et qu'il y a je crois une question de posture et de construction du cadre qui peut permettre tout le contraire, en fait. Je n'ai pas le temps, là, j'essaierai de le montrer dimanche, après ma partie historique, justement, de ce week-end (Hongrie médiévale avec enjeux politiques).
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Frédéric » 20 Nov 2009, 13:20

Meta : je pense englober dans ce que je présente ce que tu décris. (Pour ma part, j'appelle ce type de préparation de partie : "Bac à sable" ou "échiquier", c'est une des méthodes que je préfère pour mes JDR simulationnistes, bien que ça puisse sans doute s'adapter pour d'autres types de démarches).

Donc bien entendu, dans mes trois exemples de mon rapport de partie, il y a des nuances fortes : on peut avoir une rigidité forte sur l'histoire pour les joueurs, mais une grande malléabilité sur le contenu pour eux. Comme le contraire est possible etc.

En fait, fondamentalement, contrairement à ce que j'ai pu dire, un jeu n'est pas malléable ou rigide, mais c'est bien la façon dont il est joué et surtout, cela concerne des parts de l'EIP et du système. Et dans l'exemple de la troisième partie avec Gaël, on voit bien que pour moi, joueur, les suggestions que je pouvais faire pour développer l'histoire étaient plus rigides si elles se rapprochaient du scénario et plus malléables si elles n'y touchaient pas. Je pouvais donc inventer que ma mère vienne me rendre une visite, a priori, Gaël aurait accepté. Mais je ne pouvais pas imaginer que soudain, j'entends au téléphone la voix de ma femme qui rit derrière celle du ravisseur...


Pour les jeux historiques, mon propos n'est pas de dire qu'ils sont rigides (si je l'ai dit, c'était un groooos abus de langage et je m'en excuse, mais ce n'est vraiment pas ce que je pense) mais que certaines façon d'y jouer sont le maximum de la résistance que j'ai pu éprouver durant une partie de JDR, sur tous les plans confondus : exigences de langage des joueurs, de crédibilité de la part du MJ, un canon très rigide, voire des actions prédéterminées : là, dans cette situation, un chevalier doit faire ceci et pas autre chose (sans compter que rarement les systèmes de ces jeux n'offrent de grands espaces de créativité).
Mais j'ai bien conscience qu'on peut jouer de l'historique de manière très souple, avec beaucoup de malléabilité. Néanmoins, je suis curieux de voir ton exemple (parce que moi j'en ai pas beaucoup dans ce registre).
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Nocker (Guillaume) » 25 Nov 2009, 18:00

Je crois que je me suis mélanger les pinceaux dans la différentiation résistance/incertitude.
En fait, je voyais plus l'aspect résistance comme une impossibilité ou une difficulté d'apporter des éléments à la fiction et en ce sens, c'est davantage la notion de droit de narration dont je parlais.
De même, je vois l'incertitude comme l'impossibilité ou la difficulté de savoir à l'avance si une proposition d'élément sera acceptée dans la fiction.
J'ai toujours un peu de mal à voir une différence stricte, et c'est pourquoi je te rejoins un peu, Démiurge.

Pour la petite question concrète, oui pour moi une difficulté de 12 offre plus de résistance qu'une difficulté de 5, mais j'hésite encore à placer ça dans la notion d'incertitude ou celle de résistance que j'ai introduit.

L'illusionnisme s'appuie sur une tromperie des joueurs puisqu'on leur vante le fait qu'ils sont "libres de faire faire ce qu'ils veulent à leur personnage" mais d'un autre côté, le MJ vampirise tous ces efforts pour créer son scénario. Souvent, leur attention est portée sur un aspect Ludiste (réussir la mission, rester en vie) ou Simulationniste (joue ton personnage) pour que le MJ transforme ça en histoire (Narrativisme). Un telle tromperie est mauvaise car elle détourne les efforts des joueurs qui ont des buts vraiment Ludistes ou vraiment Simulationnistes afin de contenter le MJ et les joueurs (rares) qui veulent juste explorer une bonne histoire. Et même ces joueurs Narrativistes sont trompés car s'ils cherchent à faire du Narrativisme, on leur rétorque de jouer leur personnage, et s'ils font une action contre-optimale il risque de se faire enguirlander. Finalement, il n'y a que le MJ qui se fait plaisir à tirer ses ficelles pour exposer son beau scénario, et parfois même lui ne se fait pas plaisir si les joueurs partent en sucette (ce qu'on appelle communément "pourrir le scénario du MJ").

C'est plutôt intuitif pour moi pour l'instant, mais l'opposition consistance - rigidité me parait on ne peut plus juste.
Je prends l'exemples de beaucoup de jeux Indies Narrativistes. Ceux-ci ont pour objectif de permettre de raconter une histoire sur tel ou tel thème (exemple : Misspent Youth permet de raconter une histoire d'adolescents se rebellant contre un système autoritaire). Souvent, il est très difficile et peu satisfaisant de partir sur autre chose, que ce soit un autre thème, ou du Simulationnisme pur, sans même parler du Ludisme. Le Système, souvent très fonctionnel, appuie si fortement le thème annoncé que la consistance est presque assurée.
D'un autre côté, les univers très riches (souvent des jeux non-Indies) avec des myriades de possibilités, d'intérêts, d'axes dramatiques ou de mystères sont propices à un manque de consistance. Non seulement parce que les joueurs, s'ils connaissent l'univers, peuvent partir dans tous les sens et tomber sur quelque chose d'intéressant (donc aucune raison d'arrêter leurs déviances), mais aussi parce que le MJ, s'il veut respecter l'univers, doit mettre en place des tonnes d'éléments qui sont autant de choses à explorer qui peuvent attirer les pies que sont les joueurs comme autant d'objets brillants. (Voir ma partie de Changeling-MY). La consistance en prends un gros coup. On peut remarquer, vicieusement, que ça donne la plupart du temps une rigidité à toute épreuve à l'univers (que le MJ doit connaitre sur le bout des doigts) contrairement aux Jeux Narrativistes sus-cités dont les règles et la description ne s'intéressent qu'aux thèmes, pas aux détails du Setting.
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Frédéric » 25 Nov 2009, 19:54

Ok, je vais relire tout ça dans quelques temps et voir ce que je peux dire... C'est encore un point de théorie nouveau pour moi, donc je n'ai pas encore la possibilité d'affirmer bcp de choses.
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Frédéric » 30 Nov 2009, 00:06

Une question, Guillaume :
Guillaume (Nocker) a écrit :l'opposition consistance - rigidité me parait on ne peut plus juste.


Tu veux dire l'opposition malléabilité-rigidité ?
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Frédéric » 30 Nov 2009, 00:59

Guillaume : je ne suis vraiment pas d'accord avec l'emploi que tu fais de certains termes GNS. Plutôt que de polluer ce thread avec ces considérations, je te propose de discuter déjà du narrativisme là-bas : http://www.silentdrift.net/forum/viewtopic.php?f=19&t=1942
Frédéric
 
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Re: 3 obstructions : La consistance de la fiction

Message par Nocker (Guillaume) » 30 Nov 2009, 17:29

Frédéric (Démiurge) a écrit :Une question, Guillaume :
Guillaume (Nocker) a écrit :l'opposition consistance - rigidité me parait on ne peut plus juste.


Tu veux dire l'opposition malléabilité-rigidité ?

Oui, c'est bien de ça dont je parlais. Le côté Consistance-Rigidité opposé au côté Chaos-Malléabilité.
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