Aller tiens, je vais chercher l'embrouille avec Démiurge (tu vas comprendre vu le sujet abordé) avec un autre "petit" copié/collé de ma réserve.
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Les émotions et les JDRs.
Eprouver des émotions est sans doute le but le plus simple et évident des JDRs.
La plus fondamentale et la plus puissante de ces émotions est la joie.
La joie ne trouve son plein épanouissement, sa vraie profondeur, que dans son partage.
Cette joie communautaire est en majeure partie esthétique.
L’esthétique est une notion complexe.
Car elle participe à la fois de l’ordre de l’intellect et de celui du sentiment.
Mon premier choix de définition : « L’esthétique c’est l’intelligence qui reconnaît et qui savoure le sentiment. »
Le plus abstrait de ces sentiments étant la contemplation du beau.
La fameuse phrase : « Une chose de beauté est une joie éternelle » (« A thing of beauty is a joy forever » -- Keats) Résume aussi assez bien cet aspect de l’esthétique.
Je vous livre maintenant ma préférée parmi toutes mes lectures sur le sujet :
« L’esthétique réside dans la recherche de la connaissance pour le plaisir qui réside dans le fait de connaître »
Connaître et connaissance signifient ici beaucoup plus « reconnaître », qu’érudition.
L’érudition, la culture, recèlent le potentiel d’élargir nôtre champ de capacité à reconnaître le beau, mais ne sont pas « nécessaires » à l’esthétique en tant que mouvement (voir première définition).
« Recherche de la connaissance » peux signifier donc ici à la fois « chercher à reconnaître » et/ou « s’instruire ».
C’est pourquoi l’esthétique, « science du beau », est en fait à la base à la portée de tout le monde, même si les érudits élargissent leur potentiel de « reconnaissance » et donc de plaisir.
J’espère avoir réussi à clarifier cette petite phrase assez hermétique.
Revenons aux JDRs !
Les JDRs sont le croisement idéal de deux choses humainement éternelles : le jeu et la fiction.
Parlons un peu de la fiction.
La fiction, c’est principalement la narration.
Umberto Eco, écrivain et professeur en sémiologie, explique que les deux procédés de narration principaux de toute fiction sont l’itération et l’agnition.
Je me propose de démonter que ces deux éléments sont totalement de l’ordre de l’esthétique.
L’itératif c’est la répétition.
Ce qui fait que les hommes autour du feu, ou l’enfant dans son lit, aiment réentendre la même histoire, encore et encore.
C’est ce qui fait que les fictions respectent des structures identifiables et répétitives.
Les raisons secondaires sont que cela est rassurant et que cela aide à assimiler tout le reste de l’histoire.
Mais la raison principale est de l’ordre de l’esthétique comme je l’ai défini.
Ce qui est itératif est forcément « reconnu », et cette reconnaissance est un plaisir.
La répétition est la plus « vulgaire », la plus triviale des esthétiques.
Pour l’agnition c’est encore plus évident.
L’agnition c’est justement la « reconnaissance ».
L’agnition est le « Renversement qui fait passer de l’ignorance à la connaissance » (anagnôrisis) (Aristote et le théâtre).
Les procédés d’agnition dans une fiction sont, par extension, (en sémiologie ou en critique littéraire) tout simplement toutes les révélations successives de l’histoire !
Du mystérieux personnage, du coupable final, de l’explication d’un phénomène étrange, etc.
Ce qui entre encore une fois, exactement dans nôtre définition de l’esthétique.
Le plaisir qui réside dans le fait de connaître (ou de reconnaître).
Surtout lorsque l'on possédait des indices et que l'on "reconnaît" que c'est logique, ou qu'on avait raison.
Voilà donc succinctement établis et définis les rapports étroits entre narration et esthétique, et par extension entre fiction et plaisir.
Pour cerner le plaisir du jeu, Cola Duflo fait appel au « Conatus » de Spinoza.
Et nous dit que : on ne peut contempler sans plaisir sa propre puissance à l’œuvre.
C’est à la base le simple plaisir de faire, d’accomplir.
Contempler peut s'entendre ici comme savourer intelectuellement, pas besoin d'y passer trois heures.
Si ma flêche atteint le centre, je ne vais pas m'extasier en "contemplation" trop longtemps (remarque si la cible était vraiment très loin...)
Dans le jeu, qui crée un espace de liberté inédit, nous exerçons nôtre petit pouvoir dans l’espace ainsi crée spécialement, et nous en éprouvons du plaisir.
Un plaisir simple, éternel et universel.
Qui peut aller du fait de se défouler (exercer et contempler sa puissance de mouvement) à établir sa domination (exercer et contempler sa puissance sur l’adversaire).
Alors en quoi le jeu est-il esthétique ?
Eh bien, vous l’aurez remarqué, c’est dans la phrase empruntée à Spinoza.
On ne peut contempler sans plaisir sa propre puissance à l’œuvre.
Contempler plaisir.
Ce plaisir de contemplation est de l’ordre de l’esthétique.
Le seul problème ici, c’est que le jeu est tellement universel qu’il dépasse légèrement le cadre de l’esthétique.
En effet l’esthétique c’est l’intelligence qui reconnaît et qui savoure le sentiment.
Donc sans intelligence, pas d’esthétique.
Le plaisir des animaux dans le jeu touche certainement au Conatus (le plaisir brut du fait d’exercer son pouvoir), mais moins souvent à l'esthétique (reconnaître, savourer et rechercher ce plaisir).
Cependant un animal de compagnie intelligent (dauphin, chien, chat) pourra développer cette recherche, et à travers son plaisir à reconnaître une multitude de signaux, vivre avec son maître une relation qui, si elle est basiquement du Conatus (exercer sa puissance avec délectation), pourrait entrer assez facilement dans la définition de l’esthétique (chercher à reconnaître, reconnaître et en éprouver du plaisir).
Mais laissons les animaux tranquilles.
Le jeu est tout simplement potentiellement esthétique.
Il rejoint même la narration dans beaucoup de ses formes.
Dans une partie d’échecs ou de tennis, itération et agnition sont d’ailleurs de rigueur pour les spectateurs éventuels, comme pour les joueurs.
(Répétition des coups, (re)connaissance des « jolis coups »)
Ce que les JDRs ont de si particulier c’est qu’ils sont le croisement idéal du jeu et de la fiction.
Agnition, itération et Conatus viennent tous enrichir considérablement le potentiel esthétique de l’activité.
Si l’on y rajoute le fait concret de l’obligation communautaire (jouer à plusieurs, physiquement, en vrai et ensembles) qui est un catalyseur naturel de la joie, les JDRs possèdent donc un grand potentiel esthétique.
Histoire infinie, jeu infini, avec trois bout de feuilles, quelques dés, crayons et quelques heures.
Le rapport potentiel esthétique / moyens employés, est certainement imbattable.
On peut à loisir connaître, reconnaître, exercer sa puissance, et éprouver naturellement de tout cela de la joie et du plaisir.
Comme tous les hommes dans le monde essayent de le faire depuis la nuit des temps.
Les JDRs sont esthétiques. Par essence. Et par excellence.
(Ce qui n’a donc pas obligatoirement de rapport direct avec l’art, vous l’aurez bien compris).
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Une problématique plaisir émotionnel / plaisir intellectuel est donc issue d'une dichotomie qui est, à mon sens, superflue.
En effet l'esthétique est la création (naturelle) d'un rapport entre l'un et l'autre.
A part les bébés et les animaux on en est tous là.
En augmentant ta "culture esthétique" tu augmentes ton potentiel de plaisir, car tu augmentes tes possibilités de "re-connaître" le beau.
Et sur ce point précis Démiurge, je parie que c'est pas toi qui vas me contredire.
;)